Il existe un paradoxe au sein du discours politico-médiatique européen qui s’est intensifié avec la guerre russo-ukrainienne. Ce conflit met en exergue une tension entre deux principes fondamentaux du droit international et de la gouvernance politique : l’intangibilité des frontières et le droit à l’autodétermination des peuples. Cette opposition, autrefois dominée par le principe de l’intangibilité des frontières, semble aujourd’hui s’inverser sous l’effet d’un rapport de force évolutif au sein des instances internationales, notamment l’ONU, où les revendications souverainistes prennent une place croissante. Ce basculement soulève des questions fondamentales sur les implications morales et pratiques du choix entre l’intangibilité des frontières et l’autodétermination des peuples. D’un côté, la stabilité internationale repose sur le respect des frontières reconnues, tandis que de l’autre, le droit des populations à choisir leur destin peut entrer en contradiction avec ces principes établis. Cette tension interroge les fondements mêmes du droit international et la manière dont les États et les institutions arbitrent entre ces logiques opposées. Ce phénomène se manifeste non seulement dans les choix diplomatiques et législatifs, mais aussi dans les régulations internes affectant le débat public et les représentations politiques. En France, l’action de l’Arcom illustre cette tendance à privilégier des structures établies au détriment d’une ouverture à de nouvelles voix.
L’Europe contemporaine se caractérise par une hégémonie intellectuelle qui défend avec rigueur le principe de l’intangibilité des frontières, même lorsqu’il concerne des territoires marqués par des bouleversements récents, comme ceux issus de la dissolution du bloc soviétique. Cette position, bien que solidement ancrée dans le droit international, se heurte à des réalités sociopolitiques qui soulèvent des interrogations sur son adéquation aux dynamiques contemporaines. La Crimée, par exemple, annexée par Catherine II en 1783 et intégrée administrativement à l’Ukraine en 1954 par Nikita Khrouchtchev, constitue un territoire dont l’identité culturelle reste profondément ancrée dans la sphère russe. Autrefois incontestable, le « dogme » de l’intangibilité des frontières, en refusant de considérer les dynamiques historiques et les aspirations locales, figeait des situations potentiellement contraires à la volonté des populations concernées. Toutefois, la montée en puissance des mouvements souverainistes et l’influence croissante du trumpisme sur la scène internationale semble en mesure d’entraîner une remise en question de cette norme, révélant un déclin de son emprise.
Cette rigidité normative trouve un écho dans la régulation du paysage médiatique français par l’Arcom, qui applique des critères conservateurs dans la distribution du temps de parole des personnalités politiques. L’institution attribue ces espaces d’expression selon des affiliations établies, considérant davantage le passé militant des intervenants que leur capacité à proposer un renouvellement des idées. Ce mode de fonctionnement limite l’émergence de figures nouvelles. Ainsi, l’Arcom a limité drastiquement le temps de parole de Jean Messiah et l’a exclu de plusieurs plateaux télévisés, invoquant une classification idéologique qui ne reposait sur aucun critère tangible, comme une affiliation à un parti. Ces mesures contribuent directement au renforcement du système hypercentriste en place. Loin d’être neutre, cette approche conforte un ordre existant en conditionnant l’accès aux médias à la conformité avec des structures établies.
À travers ces deux exemples, se dessine une dynamique où le néo-conservatisme réglementaire sert d’outil au maintien d’une élite politique et médiatique, héritière d’une tradition universaliste qui semble aujourd’hui en fin de cycle. Cette oligarchie, profondément ancrée dans une vision politique et géopolitique façonnée par l’après-guerre et la construction européenne, s’emploie à préserver un modèle qui peine à intégrer les évolutions contemporaines et les aspirations identitaires locales. Dans le cas de l’Ukraine, le respect strict des frontières post-soviétiques se traduit par une incapacité à prendre en compte les tensions identitaires et linguistiques des populations concernées. En France, la gestion médiatique par l’Arcom reflète une volonté de verrouiller l’espace du débat public en empêchant toute reconfiguration du champ politique par des acteurs extérieurs aux cercles établis. Ce conservatisme institutionnalisé, qu’il soit appliqué à la géopolitique ou à l’organisation du discours public, témoignait d’une même logique visant à figer un équilibre préexistant en niant les forces disruptives. Mais cette posture devient de plus en plus fragile face aux transformations induites par un nouvel ordre idéologique qui érode progressivement sa légitimité et son influence.
La stabilisation d’un ordre politique ne peut s’opérer sans considérer les mutations internes qui affectent les structures sur lesquelles il repose. En s’arc-boutant sur des principes considérés comme immuables, les institutions risquent de générer des tensions croissantes susceptibles de remettre en cause leur propre légitimité. Ainsi, si la préservation des règles établies est essentielle à la continuité des systèmes, elle ne saurait se faire au détriment des dynamiques évolutives qui animent les sociétés. L’équilibre entre conservation et adaptation nécessite une approche plus nuancée, qui intègre les revendications locales sans céder à une rigidité idéologique paralysante. Cette problématique ne se limite pas à une confrontation entre légalisme et autodétermination, mais révèle la manière dont les régulations normatives peuvent être détournées au service du maintien des structures de pouvoir en place, qu’il s’agisse d’un État en guerre ou d’un système médiatique cherchant à contrôler la circulation des idées. L’avenir sera déterminé par la capacité des sociétés à surmonter ces inerties institutionnelles et à concevoir des cadres plus souples, conciliant la nécessité de préserver un ordre stable avec l’impératif d’accueillir les transformations essentielles à leur dynamisme. Le trumpisme et les discours récents de J.D. Vance s’inscrivent dans un mouvement plus large de contestation des élites établies et du néo-conservatisme réglementaire. Leur vision repose sur un rejet du globalisme et une réaffirmation des souverainetés nationales, illustrant une dynamique qui pourrait avoir des répercussions directes sur la gestion des conflits géopolitiques. L’hypothèse d’une résolution du conflit russo-ukrainien par une intervention directe de Donald Trump s’inscrit dans cette logique de rupture avec les approches diplomatiques conventionnelles, mettant en avant une volonté de redéfinir les rapports de force à travers un prisme identitaire et souverainiste. Cette évolution illustre le déclin progressif de l’oligarchie hypercentriste, dont l’assise, longtemps fondée sur un globalisme hérité des équilibres d’après-guerre, vacille sous la pression d’un rapport de force international en mutation. Sa légitimité, de plus en plus dépendante de mécanismes normatifs et coercitifs, peine à résister à l’émergence d’une souveraineté affirmée par des acteurs politiques réorientant les dynamiques globales. Ce phénomène traduit l’émergence d’un conservatisme classique, fondé sur la défense des souverainetés nationales et l’attachement aux identités locales. Contrairement au néo-conservatisme qui a longtemps cherché à maintenir un équilibre artificiel entre mondialisation et régulation institutionnelle, ce nouvel élan semble répondre à une demande croissante de recentrage politique et de revalorisation des cadres nationaux. Ainsi, ce changement ne se limite pas à une simple réaction conjoncturelle, mais pourrait marquer une transformation plus profonde, signalant la fin d’un cycle idéologique et le début d’une reconfiguration des rapports de force entre élites globalistes et peuples en quête d’autodétermination.
Alan Kleden
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