La République française est en feu. Depuis la dissolution de l’Assemblée nationale annoncée par le Président Macron le 9 juin dernier, jour des élections européennes. « Après une réflexion de plusieurs semaines », affirme-t-il dans sa lettre aux Français publiée le 23 juin. Il ajoute que « les oppositions s’apprêtaient à renverser le gouvernement à l’automne ». En outre, il aurait anticipé la large victoire de la liste Rassemblement Nationale de Jordan Bardella (plus de 31%), mais avec uniquement la moitié du corps électoral. Pour autant, celui qui voulait être « Jupiter », à l’issue de la Présidentielle de 2017, est subitement devenu Néron, en provoquant des élections législatives anticipées, obligeant les partis d’opposition à s’organiser à la hâte, en 20 jours seulement. Depuis lors, les conseillers et les hauts fonctionnaires sont affolés. Du reste, toute la société est subitement pressée. Les petits partis sont pris de court. Clairement, la France est piégée, car se retrouvant dans l’obligation de voter davantage contre que pour. Quant au RN, il se retrouve coincé : aller à Matignon pour finir par se retrouver décrédibilisé avant la Présidentielle de 2027. Avec de potentielles insurrections rondement menées par des mouvements gauchistes, face à la soi-disant victoire du fascisme… Qui plus est, à la veille des Jeux olympiques et paralympiques de Paris (26 juillet – 8 septembre). Premier tour, le 30 juin. Deuxième tour, le 7 juillet.
Le métamorphe de l’Élysée voulait redistribuer les cartes depuis les Législatives de 2022, ayant conscience que sa réélection n’était pas véritablement fondée sociologiquement, autant que sa première élection. Irrémédiablement, sa majorité devait devenir relative : 250 députés de la majorité présidentielle (La République En Marche avant-hier, Renaissance hier, Ensemble pour la République ! aujourd’hui), 151 députés de la Nupes*, 62 députés Les Républicains et 89 députés RN. Après quoi, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale* a fait le spectacle… Chahut et drapeaux palestiniens en sus. L’art de bordéliser, face au Rassemblement national, très loin du Front national canal historique, dont le mot d’ordre est la normalisation, et ce, après une longue période de dédiabolisation depuis 2008. Dans cette perspective, Néron a estimé qu’il devait « leur balancer sa grenade dégoupillée dans les jambes », d’après des propos rapportés par le quotidien Le Monde, le 14 juin. « Je prépare ça depuis des semaines, et je suis ravi. Je leur ai balancé ma grenade dégoupillée dans les jambes. Maintenant on va voir comment ils s’en sortent… » Ou quand la perversité (narcissique) devient une arme en politique. Ou bien, quand à la bordélisation à l’Assemblée, il fallait répondre par la bordélisation dans la cité.
La dissolution est nécessairement un acte calculé. D’abord, le Président parie sur la versatilité des électeurs. Parce que son monde est au mieux gazeux, liquide au pire. En attendant, les partis politiques, face à l’extrême centre, devaient se réorganiser en 2 blocs : bloc sociétal (Nupes devenue, à présent, Nouveau Front Populaire, incluant Philippe Poutou du Nouveau parti anticapitaliste et François Hollande, l’ancien Président de la République de 2012 à 2017) et bloc national (RN et une soixantaine de dissidents parmi Les Républicains, dont Éric Ciotti, sur le point de perdre précisément son poste de président du parti dit « de droite républicaine »). Ainsi, des plaques tectoniques se sont brusquement déplacées, chacun des parlementaires prenant en compte la nouvelle donne électorale selon la circonscription convoitée. Dans une France divisée en 3 corps sociologiques : corps (écolo-)sociétal (petits fonctionnaires, milieu associatif, syndicats étudiants), corps libéral-libertaire (retraités, patrons et spéculateurs) et corps social-national (paysans, petits artisans, ouvriers précarisés). Une France bloquée. Puis Ciotti devait admettre que la sociologie de droite du sud-est de l’Hexagone n’est pas la même que celle du nord-ouest ; comme une ligne de fracture entre respectivement des classes supérieures libérales-conservatrices et des classes moyennes de centre droit. Précisément, le géographe social Christophe Guilluy a posé, depuis la parution de Fractures françaises (2010), le bon diagnostic : « Le péché originel est connu, il est celui du choix d’un pays, sans usine, sous ouvrier ni paysan, et qui a tout misé sur une poignée de métropoles tertiarisées pour produire l’essentiel des richesses », dit-il dans un entretien accordé au Figaro (publié le 10 juin).
On connait la suite : crise financière (2008), crise sanitaire (2019-2022), crise climatique (depuis 2022), crise agricole (2024)… Seulement, le RN ne peut que tomber dans le piège de la banalisation. L’épouvantail devait devenir une marionnette, le parti des grands renoncements (jetant à la poubelle, depuis la défaite à la Présidentielle de 2017, tout projet de sortie de l’Union européenne et de la zone euro), pour se soumettre au Marché, céder face à la technocrature. Avec l’obligation de constituer un gouvernement d’union nationale. Face à un Poutine inversé, prêt potentiellement à démissionner (en dépit du fait qu’il dit vouloir « agir jusqu’en mai 2027 » dans sa dernière lettre aux Français) pour mieux se relancer, à la tête d’une structure supranationale, parce que restant fondamentalement un banquier d’affaires, expert en fusion-acquisition, dans l’art de brader le savoir-faire industriel français. Il faut être « un genre de prostituée », disait-il à The Wall Street journal en mars 2015.
In fine, il est évident que l’oligarchie et des lobbies entendent se maintenir à la tête d’un État en passe d’être en faillite financière. Inflation galopante, oppressante, angoissante entre crises et austérité, entre ex- et désa-(p)propriation, là où il est question d’intégrer tacitement l’argent sale dans le calcul du Produit intérieur brut. De fait, la Macronie n’est plus qu’un baril de poudre… Ça et moi contre surmoi. Entre dépolitisation de l’économie et financiarisation des échanges. Pouvoir sans autorité. Liberté sans responsabilité. Désir d’impuissance en politique ; volonté de puissance dans les affaires… De la collusion à tous les étages, de la collusion électorale (la majorité présidentielle choisissant, selon les cas, de ne pas investir de candidats contre certains candidats LR ou certains candidats PS, dont Hollande) à la collusion industrialo-financière (« Affaire Kholer », d’après Mediapart et Off Investigation, entre autres).
En résumé, la macronisme était programmé pour être le fer de lance de la mainmise exponentielle de la Troïka, Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international, sur notre pays… Celui qui se comparait, l’année dernière, à Vulcain, dieu du feu, des volcans et de la forge, n’est qu’un gouverneur-mercenaire. Au plus près de l’abîme, comme en matière de lutte contre l’antisémitisme. Dans les vertiges de l’amour du « en même temps ». Susciter davantage encore des votes communautaires, ou identitaires, quitte à instaurer un climat de terreur. Souffler sur les braises, quitte à déclencher l’article 16 de notre Constitution, s’attribuant les pleins pouvoirs (pour une durée de 30 à 60 jours). En conclusion, et dans tous les cas de figure, Macron aura atteint son principal objectif : la liquidation de la Nation. Alfred Jarry dans Ubu Roi : « Je tuerai tout le monde et je m’en irai ».
Henri Feng
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