Michel Ruch : QUELLE ISSUE A LA GUERRE EN UKRAINE ?

Michel Ruch est diplômé de l’IEP de Strasbourg et de l’Institut des Hautes Études Européennes. Il a publié L’Empire attaque : Essai sur Le système de domination américain, aux éditions Amalthée.

Le bilan de 2 ans de conflit armé en Ukraine se solde par un double échec : celui de la Russie qui n’est pas parvenue à faire chuter le régime de Kiev à la faveur de son invasion ; celui de l’Ukraine
dont la contre offensive de l’été 2023 n’a permis ni de récupérer la région du Donbass, ni de réoccuper la presqu’île de Crimée annexée par la Russie en 2014.

Les enseignements à tirer de ce double échec ne sont pas de même nature, malgré un équilibre apparent des forces matérialisé par la quasi stabilisation du front à la fin de 2023. D’un côté, si le calcul initial de la Russie était un effondrement rapide ou la capture du gouvernement ukrainien et la prise Kiev, les moyens initiaux engagés étaient à considérer suffisants. Si à l’inverse, il avait fallu envahir et contrôler la totalité du territoire de l’Ukraine, ces moyens auraient été à l’évidence mal calibrés. L’erreur politique de la Russie a donc été la sous estimation de la résistance ukrainienne. De l’autre côté, c’est une surestimation de l’efficacité des armements fournis par l’OTAN, associée à un défaut de conception stratégique, qui ont conduit à l’échec de la contre offensive ukrainienne fin 2023. De cette double erreur d’appréciation de part et d’autre, l’une politique, l’autre technique, a résulté une guerre d’attrition se réduisant à des gains territoriaux restreints, conservés ou repris, sans que se soit dégagée, en 2 ans, une perspective de changement par une opération de rupture.

CO-BELLIGERANCE

L’orientation fondamentale de ce conflit initialement bilatéral est sa transformation progressive en une confrontation globale asymétrique entre une grande puissance réputée isolée (la Russie), et un bloc d’Etats membres de l’OTAN mobilisant des ressources qui l’engagent de facto dans un processus de co-belligérance de basse intensité. Dans ce cadre, il paraît nécessaire de dépasser la définition juridique usuelle de la co-belligérance, qui la réduit à la seule participation aux combats de troupes étrangères aux acteurs initiaux du conflit. La guerre en Ukraine a toutefois été qualifiée de guerre hybride dans le sens où la multiplicité de ses formes crée et entretient précisément le flou sur les limites entre la co-belligérance et sa dénégation. Corollairement, il est logique que les pays de l’OTAN, les USA en tête, s’appliquent à nier formellement toute participation au conflit pour la raison évidente d’éviter leur incrimination comme partie prenante, et par conséquent comme co-belligérants qui seraient traités politiquement, juridiquement, et militairement comme tels.

Ce sont les progrès technologiques multifactoriels en matière d’armements et de techniques d’emploi, et notamment par une fertilisation croisée de conceptions duales civiles et militaires, qui créent de facto les paramètres et les conditions d’une co-belligérance. En corollaire, son déni officiel constitue, au moins temporairement, un atout politique et diplomatique pour la coalition occidentale dans l’affichage de ses positions. La guerre étant un concept global, il y a lieu d’intégrer également dans cette co-belligérance le soutien de ce qu’on appelle « l’arrière », à savoir le régime massif des sanctions économiques, diplomatiques et juridiques à l’encontre de la Russie. Pour en évacuer son sens normatif juridico-moral, on peut se référer à 2 exemples historiques simplifiés : l’URSS a ainsi toujours nié son rôle de co-belligérance dans la guerre civile espagnole (1936-1939) tout en y intervenant par « les brigades internationales » qu’elle avait créées, de même que l’US Army s’était déguisée en « forces de l’ONU » pour légitimer son intervention dans la guerre des deux Corées (1950-1953).

Concrètement, les expéditions d’armements par l’OTAN en Ukraine ne sont pas dissociables, non seulement de la formation, de la maintenance, et de l’encadrement qu’ils requièrent, mais aussi des conditions opérationnelles de leur emploi au niveau terrestre, aérien, et maritime. Cette double dépendance est elle-même tributaire de renseignements permanents et en temps réel, que seuls les systèmes électroniques d’interception et de guidage des pays de l’OTAN sont capables de fournir (satellites de la NSA, avions AWACS, etc). Enfin, il a été confirmé que les services de renseignements de la CIA sont installés de longue date au sein des services ukrainiens, ainsi que des experts et conseillers de terrain au niveau des états-majors. En conclusion, une telle imbrication fait de la co-belligérance une nécessité technique intrinsèque dans la guerre hybride, électronique et informationnelle, tant en matière d’armements que de communication à tous niveaux. Il est donc inutile de faire de sa négation un critère de jugement dans un conflit comme celui de l’Ukraine. Traduite dans un sens inverse, cette paralaxe signifie que le type de guerre menée par l’OTAN en soutien de l’armée ukrainienne y revêt les formes les plus variées, y compris des opérations secrètes de forces spéciales sous couvert, mais à l’exclusion de l’envoi de troupes combattantes. Un tel envoi sur le sol ukrainien serait au demeurant logiquement interprété par la Russie d’autant plus comme une attaque directe contre elle-même, que les territoires conquis par elle en 2022 ont été intégrés juridiquement dans la fédération russe.

MATRICE DU CONFLIT

Comme tout évènement historique charnière, la guerre d’Ukraine est l’aboutissement prévisible d’un processus étalé sur 20 ans, occulté aujourd’hui dans l’esprit des opinions publiques européennes pour des raisons évidentes de propagande interne et de mobilisation psychologique.Un tel effacement est comparable à celui qui avait longtemps consisté à éviter d’incriminer le traité de Versailles (1919) et afférents comme étant la matrice véritable de la 2ème guerre mondiale. Dans les deux cas, il exprime un syndrome rémanent de déni de réalité, un mix de fiction juridique et d’irénisme, consubstantiel à maintes élites dirigeantes en Europe. Comme cette forme d’occultation ne serait dissipée que trop tardivement pour une amorce de tractation diplomatique entre la Russie et l’Occident, il n’appartiendra qu’aux historiens du futur de reconstituer la genèse et les étapes du mûrissement du conflit ukrainien depuis le début de la décennie 2000-2010 jusqu’ à 2022.

Dans ce registre, en démentant la thèse de FUKUYAMA sur l’extinction définitive des conflits grâce à la chute du bloc soviétique, deux types d’impérialisme se sont déployés à la fin du XXème siècle dans une visée d’absorption de la Russie dans un eldorado libéral et mondialisé décrit par cet auteur. Le premier type de projection impériale est américain ; géostratégique et pragmatique, il a exploité la dislocation de l’URSS pour étendre l’OTAN à l’Est, entreprendre le détachement de l’Ukraine du giron russe (cf. la doctrine BRZEZINSKI ), et oeuvrer à la pénétration des firmes multinationales sur le territoire de la Russie pour s’y emparer des actifs industriels et miniers soviétiques (cf.par exemple l’affaire LUKOIL). Le second axe de projection impériale est européen et idéologique ; de nature juridique et mercantiliste, il vise à incorporer la Russie et son « étranger proche » dans un vaste espace sans frontières, régi par une extension indéfinie des droits individuels et le libre échange généralisé. Le fait majeur de la nouvelle confrontation entre le bloc euro atlantique et la Russie est que la combinaison de ces deux impérialismes est interprétée par elle comme une menace existentielle, déployée en dehors de tout cadre d’entente ou de négociation.

Pour comprendre une telle interprétation, il est nécessaire de rappeler que la période de la guerre
froide (1947- 1989) s’était déroulée dans un certain type d’entente : d’abord informel en reposant sur le principe de la dissuasion nucléaire mutuelle, facteur objectif d’équilibre, ensuite par les accords d’Helsinki (1975) ayant institué l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) avec un protocole permanent de contacts et de communication (dont « le téléphone rouge ») entre les parties. L’acceptation partagée de ses règles de jeu avait préservé la paix jusqu’à l’effondrement du bloc soviétique. En contrepoint de ce constat, le bref soubresaut de « la crise des missiles » de 1983 doit être considéré moins comme un revirement du pouvoir soviétique, que comme une première expression visible de la crise systémique qui allait l’emporter.

Une différence majeure entre la confrontation actuelle et celle de la guerre froide semble issue d’abord d’un appauvrissement intellectuel, combiné d’inculture et d’idéologie, des cercles dirigeants actuels de l’Union Européenne dans leur perception et leur compréhension de l’empire russe en général, et de la Russie post soviétique en particulier. Passés d’une idéologie pacifiste à une psychologie belliciste, les dirigeants actuels de l’Europe n’ont ni la culture ni la maturité de leurs prédécesseurs français, allemands, italiens pendant la guerre froide. Cette dérive, à l’inverse, affecte dans une moindre mesure l’autre versant du bloc occidental, les USA. Ce qu’on appelle leur « Etat profond »(le département d’État, le Pentagone, et certains think tanks influents) acculturé à la realpolitik, paraît capable de conserver une intelligence pragmatique des situations, des rapports de force, des limites, et des marges de négociabilité. S’il existe donc aujourd’hui un danger de confrontation armée directe avec la Russie, il viendrait plutôt de l’hystérie juridico-moraliste de l’Union Européenne, que d’une initiative intempestive des USA, ce qui, à terme, en cas de négociation, place implicitement la puissance américaine dans une disposition diplomatique plus crédible que celle de l’Europe.

Ce diagnostic rappelant l’aptitude à la flexibilité du milieu dirigeant américain, n’infirme cependant pas la co-responsabilité des USA avec l’Union Européenne dans la dégradation continue de leurs relations avec la Russie depuis environ 2004. Son origine est la stratégie globale d’absorption de l’Europe centrale et orientale dans le bloc occidental avec :

1) L’intégration dans l’OTAN de toutes les ex-démocraties populaires du bloc soviétique, augmentée des 3 républiques baltes qui étaient fédérées dans l’URSS, en complète asymétrie avec la dissolution antérieure par Moscou du Pacte de Varsovie, et déplaçant leur zone de contact sur une profondeur de champ de 1000 kms vers l’est.
2 Les manœuvres des USA (sous la présidence BUSH) pour y intégrer également l’Ukraine et la Géorgie, temporairement bloquées par la France et l’Allemagne au sommet de Bucarest en 2008.

En réalité, suivant la « doctrine BRZEZINSKI », la stratégie de captation et de subversion de l’Ukraine (indépendante en 1991) par les USA se déployait depuis deux décennies sur un mode furtif favorisé par un chaos politique interne, et ce jusque début 2014 où le « coup d’État démocratique » destituant le président élu pro-russe YANOUKOVITCH provoqua la récupération de la Crimée par la Russie, et accéléra la sécession du Donbass.

Dès lors, le conflit armé déclenché en 2022 devenait d’autant plus prévisible, voire inévitable, que les accords de Minsk signés en 2015 avec la Russie n’ont pas été respectés par l’Ukraine, avec en particulier la guerre de harcèlement déclenchée par elle contre la dissidence du Donbass. Par ailleurs, il est utile de rappeler que les occidentaux, enivrés par leur victoire sur l’URSS, n’ont jamais donné aucune suite aux demandes russes de reconstruire pour leurs relations avec la Russie
une cadre juridique similaire à celui de l’OSCE.

RISQUES D’ENGRENAGE ET DE MONTEE AUX EXTREMES

Comme l’Histoire le démontre, de tels risques proviennent généralement, soit d’un écheveau de traités bilatéraux ou multilatéraux engendrant mécaniquement l’inéluctabilité d’un engrenage, soit des interprétations lourdement erronées sur les objectifs réciproques supposés, et sur l’analyse des rapports de force réels. Le dernier cran d’un tel engrenage est par essence incontrôlable puisque non prévisible. En l’absence d’obligations liées à des clauses d’un quelconque traité, seule l’évolution des opérations du théâtre est donc à interpréter pour tenter d’évaluer leur suite.

Dans le conflit ukrainien, les risques d’engrenage incontrôlable seraient générés essentiellement par une volonté « jusqu’au boutiste » d’une ou des deux parties. Un double constat de base début 2024 est que 1) la Russie n’a pas la capacité de conquérir l’Ukraine jusqu’ à sa frontière occidentale 2) l’Ukraine n’a pas la capacité de reconquérir le Donbass et la Crimée. Il pourrait ainsi devenir vraisemblable que la Russie se contente de ses gains territoriaux transformés en forteresse, et en renonçant à des moyens de rupture pour avancer au-delà. A l’inverse, l’Ukraine s’étant fixée l’objectif de leur récupération intégrale, elle ne pourrait compter que sur une offensive de rupture, dont les moyens et le succès dépendraient fondamentalement d’une intervention occidentale qui serait ce déclencheur d’un engrenage incontrôlé pouvant conduire à une internationalisation du conflit. Une question théorique par comparaison : une offensive terrestre de forces de l’OTAN sous couvert ukrainien, du type « MonteCassino» (Italie,1944), ou un débarquement du type « Guadalcanal « (Pacifique, 1944) pourrait-elle percer le front russe dans une poussée jusqu’à la frontière orientale de l’Ukraine ?

A partir de ce diagnostic, prévalent l’incertitude et l’obscurité des objectifs visés par la coalition occidentale dans l’hypothèse où ils seraient univoques. On peut estimer, au vu de ses anathèmes et déclarations martiales, que l’Union Européenne est incapable de concevoir un objectif ultime autre que « la défaite complète de la Russie » , dans une optique essentiellement punitive,» et au moyen d’armes de rupture qui n’épargneraient pas le territoire russe. Une telle position dépourvue de réflexion géostratégique recèle le risque majeur d’un dérapage incontrôlé du conflit. A l’inverse, il est probable qu’existent aux USA, dans états-majors du Pentagone et du Département d’État, les plans non officialisés d’un achèvement à court terme du conflit. A ce titre, il faut rappeler que les américains ont été en quelque sorte « vaccinés » politiquement contre les guerres de longue durée qu’ils ont perdues (Vietnam, Afghanistan, voire Irak), et pourraient donc rechercher une victoire partielle rapide susceptible d’enclencher une négociation.A resituer dans un tel contexte le talent diplomatique de l’ancien et renommé secrétaire d’État Henry KISSINGER, qui sut à la fois arrêter la guerre du Vietnam, réconcilier séparément l’Amérique avec la Chine et le Vietnam communistes, et ce sans s’aliéner l’un au détriment de l’autre.

L’inconnue principale se situe donc début 2024 dans une décision qui serait américaine avec une alternative à trois volets : 1) sortir de l’enlisement par une fourniture d’armements massive après l’échec de la contre offensive ukrainienne 2) lancer une offensive de rupture en vue d’abréger le conflit, ou non 3) favoriser, au constat de l’enlisement, l’amorce d’une négociation.

OBSTACLES ET HYPOTHESES DE SORTIE DU CONFLIT

Toute guerre se terminant par une forme d’accord, même minimaliste, la question névralgique sera de décider si cet accord doit passer par une capitulation, ou non. Il ne semble plus certain que la Russie cherche la capitulation de l’Ukraine ; à l’inverse, il semble que la coalition occidentale, en apparence unifiée dans cet objectif, aspire encore à une forme de capitulation de la Russie. Dès lors, dans cette asymétrie, la question corollaire est donc de savoir si cette coalition usera de moyens extrêmes pour y parvenir.

Le principe intrinsèque d’une négociation intelligente entreprise parallèlement au conflit serait d’éviter une capitulation de part et d’autre, condition de base pour restaurer une paix ménageant la possibilité de reconstruire un avenir. En considérant l’hypothèse d’une capitulation russe, celle-ci aurait d’abord des conséquences incommensurables dans la tectonique des plaques géopolitiques entre l’Europe, l’Eurasie et l’Asie. Si l’Union Européenne, dans son idéologie onirique, préfère cultiver sa cécité plutôt que de les évaluer, les USA par contre, en raison de leurs engagements mondiaux, font sûrement entrer un tel discernement dans leurs scénarios de prospective, d’où leur « hésitation stratégique » actuelle quant à l’action à suivre après l’échec de la contre offensive ukrainienne.

En dehors de cette prévisibilité théorisée, il est impératif d’examiner le futur de la guerre d’Ukraine en fonction des paramètres historiques et anthropologiques qui vont le déterminer. Il est peu douteux, par exemple, que la Russie n’acceptera pas la perte de la Crimée, russe depuis 1783, laquelle serait considérée comme une catastrophe nationale d’autant plus grave et sans précédent qu’elle ouvrirait le contrôle de la Mer Noire à la VIème flotte américaine et en chasserait la flotte russe. A rappeler dans ce cadre, la recherche multiséculaire par la Russie d’un accès aux mers chaudes pour rompre son encerclement continental et glaciaire. La perte de la Crimée ferait surgir d’autre part, parc ricochet, un nouveau foyer de tension dans le Caucase puisque la Géorgie et l’Arménie sont déjà les nouvelles cibles de l’OTAN et de l’Union Européenne. C’est la conscience, prioritaire ou non, de cette réalité par les USA qui devrait déterminer leur décision stratégique finale quant à l’issue du conflit. L’Union Européenne, en revanche, qui ignore le respect des réalités ethnolinguistiques et de la volonté des peuples, ne reconnaît en rien le droit du Donbass et de la Crimée de rester russes en dépit des votations de leurs populations intervenues en 2014 et ultérieurement.

Les schémas théoriques d’une fin du conflit sans capitulation :

1) Le schéma coréen : les opérations seraient stoppées par un armistice sur une ligne de front gelée sans avancée significative ni d’un côté ni de de l’autre (cf le 38ème parallèle en Corée après la remontée des forces du général MacArthur en 1953). Aucun accord négocié ne serait conclu entre les parties. La construction commencée par l’armée ukrainienne d’une ligne de défense fortifiée le long de celle des russes pourrait accréditer un tel scenario.

2) Une négociation serait amorcée grâce à la Turquie, intermédiaire initial indispensable, et conduite par les USA après leur élection présidentielle de fin 2024. Sur le plan opératoire, son sérieux viendrait de la compétence diplomatique du Département d’État qui repose d’abord sur le principe de la realpolitik. Sur le plan stratégique, on peut prêter aux USA l’objectif d’éviter une conflictualité globale simultanée sur deux fronts : celui avec la Russie en Europe orientale, et celui avec la Chine dans le Pacifique occidental.

3) Cette négociation aurait pour objet d’entériner le partage du territoire dont seuls environ 20 % resteraient russes, avec d’éventuels correctifs, puis de concevoir pour le pays un statut de neutralité sous garanties internationales, sachant que son intégration dans l’OTAN reste pour Moscou une
ligne rouge. Le leadership d’une négociation ne pouvant pas être dual, il apparaîtrait raisonnable de cantonner l’Union Européenne dans un rôle d’observateur en raison du risque de détournement de son sens et de son axe par une interférence récurrente de ses obsessions idéologiques. Lui resterait concédé le privilège de parachever son accord d’association commerciale avec l’Ukraine, lequel ne ferait que formaliser juridiquement les larges faveurs et facilités lui ayant déjà été accordées par exception et par dérogation à ses propres règles.

RISQUE D’UN ECHEC GLOBAL

La différence de contexte majeure entre la période de la guerre froide avec l’Union Soviétique, et celle de la confrontation actuelle avec la Russie, reste la perte de connaissance du monde russe consécutive à la chute de l’URSS. Après 1991, tous les dirigeants occidentaux s’étaient persuadés que la Russie décollectivisée allait entrer automatiquement dans une ère de félicité libérale, de bonheur mercantile, et d’individualisme triomphant. C’est la reconstruction d’une puissance russe sur la base de ses propres valeurs qui a fait lige de cette crédulité.

Trois pays d’Europe avaient une bonne connaissance du monde russo-soviétique, la France, l’Allemagne, et l’Italie. Le général de Gaulle, qui avait rencontré Staline à Moscou en 1943, en avait retiré sa conviction ultérieure d’une nécessaire entente et coopération (ses termes) avec la Russie éternelle quel que soit son régime politique. En 1976, le chancelier Willy Brandt avait lancé l’Ostpolitik allemande qui allait perdurer près d’un demi siècle. Les gouvernants italiens des années 1970-1980 avaient instauré quant à eux des formes de coopération originales avec l’URSS. A partir de 2007, la France abandonne son rôle d’acteur stratégique indépendant en Europe, en épurant le Quai d’Orsay de ses éléments souverainistes, en réintégrant son armée sous le commandement américain de l’OTAN, et en annulant le vote négatif au référendum de 2005 qui avait rejeté le « traité constitutionnel » sur le transfert massif de sa souveraineté à l’Union Européenne. Cette forfaiture couplée avait, dès lors, engagé la translation rampante de sa sphère diplomatique vers la Commission Européenne, en ruinant le crédit international de sa capacité de médiation, antérieurement reconnue, respectée, et remplacée par le vide. Le paradoxe consécutif à ce transfert est que l’Union Européenne, à son échelon collectif, n’a par elle même gagné aucune crédibilité dans ce registre.

En l’absence d’une prise en compte géostratégique du conflit ukrainien par les USA allant au delà des opérations du théâtre, rien n’annonce par ailleurs dans l’Union Européenne une quelconque propension à concevoir une issue autre que la défaite totale de la Russie. La recherche d’une telle défaite recèle d’abord, par évidence, au mieux des dérapages accidentels difficiles à contrôler, et au pire un engrenage de guerre internationale sur le sol européen. Plus grave encore, dans certains cercles dirigeants européens, circule le fol espoir d’obtenir, par ricochet d’une défaite russe, la chute du régime actuel au pouvoir à Moscou. Un tel irénisme ne fait au demeurant que refléter le délire expansionniste de l’Union Européenne qui, auto légitimée autant par son droit que par ce qu’elle croit être son devoir, cherche à implanter chez les autres peuples son propre modèle de société, et dont ils seraient présumés en attente.

La situation et les perspectives visibles au 1er trimestre 2024 ne donnent encore aucun aperçu d’une quelconque amorce de fin du conflit selon l‘un des deux scénarios évoqués.

Michel RUCH
(avril 2024)

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