À travers le prisme du wokisme, tout semble s’articuler autour d’une dichotomie inévitable : les dominants d’un côté, les dominés de l’autre. Quel que soit le sujet, on retrouve toujours ceux qui profitent d’un système établi et ceux qui en paient le prix. Ce système, que l’Occident blanc perpétuerait sciemment, viserait à imposer sa domination, en particulier sur les populations noires et brunes, selon la nouvelle terminologie chère aux militants wokes. Pourtant, le terme « personnes racisées » avait réussi à s’imposer avant d’être jugé trop vague pour rendre compte des subtilités de chaque expérience raciste. Nul doute que les personnes originaires, par exemple, du Moyen-Orient, d’Asie, d’Amérique latine ou d’Afrique du Nord soient « enchantées » d’être regroupées dans la catégorie des personnes brunes…
Voici venu le temps des discrimination killers…
Avec le wokisme, le racisme est omniprésent, même là où l’on s’y attend le moins. Les wokes font preuve d’une inventivité sans pareille pour débusquer toutes les déclinaisons du racisme. Leur capacité à innover en la matière est à la fois magistrale, surprenante et déconcertante. Ce racisme se manifeste par une série de discriminations, infligeant de nombreuses violences aux personnes racisées, et permettant à ce système de perdurer. Les wokes traquent tout ce qui s’apparente à de la discrimination. Nous avons connu la grande époque des cost killers, dont l’objectif était de réduire les dépenses dans les entreprises. Eh bien, voici maintenant celle des discrimination killers, qui se donnent pour mission d’instaurer la justice sociale.
La phobie de la différence perçue comme forcément discriminatoire…
Au-delà de cette introduction volontairement provocatrice, il est évident que la lutte contre les discriminations est en soi une action salutaire. Personne ne doit être ou se sentir exclu. Faut-il encore le rappeler ? Mais avec le wokisme, ce n’est pas la nuance qui prévaut, bien au contraire. La question qui se pose concerne le positionnement du curseur. Pour employer un néologisme, les wokes souffrent d’une « discriminaphobie » dangereuse à bien des égards. Par exemple, dans l’enseignement, sous couvert d’inclusivité et de diversité, le risque est de voir le niveau s’effondrer à cause d’un nivellement par le bas soigneusement orchestré. Pour illustrer cela, il est intéressant d’examiner les recommandations concernant l’apprentissage des mathématiques et du langage, faites par certaines universités, cabinets de conseil et associations dont certaines sont financées par la fondation Bill et Melinda Gates. En matière de wokisme, les pays anglo-saxons ont une longueur d’avance sur nous. Parions que l’écart sera vite comblé…
Les professeurs de mathématiques font avec le racisme ce que Monsieur Jourdain fait avec la prose…
L’idée selon laquelle la suprématie blanche dans l’enseignement des mathématiques opprime les minorités constitue le fondement de l’activisme « antiraciste », qui s’attaque à cette science dont les origines remontent tout de même à l’Antiquité.
En Australie, l’ANU (Australian National University) a mis en place un programme intitulé Mathematics Without Borders, dont l’objectif est d’élargir et de diversifier la base culturelle des mathématiques. Les enseignants sont invités à présenter « une vision décolonisée et multiculturelle » des mathématiques. Selon la responsable de ce programme, Rowena Ball, « les mathématiques ont été contrôlées par l’Occident et définies de manière à exclure des cultures entières. Presque toutes les mathématiques auxquelles les étudiants ont été exposés reposent sur des modèles européens. Il faut enrichir la discipline en incluant des mathématiques interculturelles » (SIC).
Au Royaume-Uni, cet avis est partagé par la célèbre QAA (Quality Assurance Agency for Higher Education), dont la mission principale est d’assurer la qualité de l’enseignement supérieur dispensé dans les universités et les collèges. Cet organisme joue un rôle essentiel, car il contribue à établir des référentiels nationaux de normes académiques et de bonnes pratiques, évalue les établissements et leur délivre les accréditations nécessaires. Ne pas suivre les recommandations de la QAA expose les établissements à de sérieux problèmes, tant sur le plan de la réputation que du financement.
A quoi joue Bill Gates ?
Cette accusation portée contre l’enseignement des mathématiques se manifeste également aux États-Unis. Par exemple, l’initiative Equitable Math a été développée par un groupe de professionnels de l’éducation, notamment des enseignants et des chercheurs, engagés à aborder les inégalités systémiques dans l’enseignement des mathématiques, et à soutenir les enseignants dans la mise en œuvre de pratiques pédagogiques antiracistes. Equitable Math s’adresse principalement aux écoles élémentaires et secondaires en offrant une variété de ressources telles que des recherches, des articles et des guides.
Dans le cadre de cette initiative, The Pathway to Equitable Math Instruction est un collectif d’organisations qui a collaboré pour produire un guide destiné à aider les enseignants à aborder les biais raciaux dans les cours de mathématiques. Ce guide, intitulé Dismantling Racism in Math Instruction: A Pathway to Equitable Instruction (Démanteler le racisme dans l’enseignement des mathématiques : un chemin vers un enseignement équitable), est disponible gratuitement en ligne. En le consultant, les enseignants apprendront que trouver la bonne réponse ne doit pas être l’objectif ; l’accent doit plutôt être mis sur la compréhension des concepts et du raisonnement. Ils prendront également conscience de l’impérieuse nécessité de s’assurer que les élèves apprennent l’existence de mathématiciens issus des minorités, en particulier des femmes de couleur et des personnes queer de couleur. Une personne queer est une personne dont l’identité de genre ou l’orientation sexuelle ne correspond pas aux normes traditionnelles ou aux catégories binaires.
Ce guide a largement été financé par la fondation Bill et Melinda Gates à travers l’un de ses principaux contributeurs, le groupe de plaidoyer The Education Trust-West, qui a directement reçu 1 million de dollars de la fondation pour soutenir sa création.
Les signes de la suprématie blanche dans l’enseignement des mathématiques doivent être supprimés…
Les enseignants sont donc conviés à revoir leurs méthodes d’enseignement en remettant en cause un certain nombre d’éléments (concepts et pratiques) qui perpétuent l’oppression des minorités. Parmi ces éléments, certains sont plus cruciaux que d’autres, tels que le perfectionnisme, qui remet justement en question l’importance accordée à la bonne réponse ; le sens de l’urgence, qui implique une révision des rythmes d’apprentissage pour tenir compte des besoins des élèves nécessitant plus de temps pour comprendre ; la prétention à l’objectivité, ainsi que l’uniformité des exemples. Il s’agit d’intégrer dorénavant des problèmes mathématiques qui reflètent les expériences et les cultures diverses des élèves.
Est-il maintenant nécessaire de maîtriser la langue ?
Les nouveaux justiciers du nouvel ordre moral partent du principe que reprendre un élève est un acte à proscrire, car cela reproduirait une forme de domination insupportable et serait particulièrement traumatisant pour l’élève. Ils appellent ainsi les enseignants à revoir leurs méthodes pédagogiques. Ce qui est valable pour les mathématiques l’est également pour toutes les matières enseignées. Pour expliquer le caractère à la fois excessif et inquiétant de ce type d’approche, il suffit de se pencher sur ce qui se passe à la Metropolitan State University (MSU) de Denver, dans l’État du Colorado, aux États-Unis.
Au sein de cette université, le Writing Center occupe une place essentielle en aidant les étudiants à développer leurs compétences en écriture, quelles que soient leurs disciplines. Il promeut la réussite des étudiants ainsi que l’inclusivité. Sur leur site Internet, leur présentation donne clairement le ton : « Le racisme et la suprématie blanche existent dans tous les aspects de notre société, y compris l’écriture, la notation, l’enseignement et la vie universitaire. Dans ce contexte, il est essentiel de créer une culture qui normalise l’inclusivité, et remet en question les politiques et pratiques qui favorisent les inégalités. Ainsi, nous nous positionnons fermement en tant qu’antiracistes, soutenons le mouvement BlackLivesMatter, et continuerons à combattre les systèmes favorisant le racisme, le sexisme et l’handiphobie. »
Et pour combattre le racisme dans l’enseignement dispensé dans cette université, le Writing Center met en avant des pratiques pour le moins originales. Prenons quatre exemples. Tout d’abord, le rejet de l’utilisation de l’anglais standard (SAE) avec l’explication suivante : « il s’agit d’une construction sociale qui privilégie les communautés blanches et perpétue les hiérarchies sociales et raciales. Par conséquent, nous encourageons les étudiants à utiliser l’anglais qui leur est propre pour exprimer leurs idées. »
Quand le « pidgin English » devient la norme…
Puis, la promotion du code-meshing qui consiste à combiner différents dialectes dans un même contexte de communication, contrairement au code-switching qui demande de changer de registre. Le code-meshing permet aux étudiants d’améliorer la qualité de leur expression écrite en leur offrant la liberté d’utiliser leur propre anglais.
Ensuite, l’utilisation de techniques de notation plus équitables, prenant en compte les compétences de communication des étudiants plutôt que la stricte maîtrise des règles grammaticales. Le Writing Center recommande que la grammaire ne représente pas plus de 10 % de la note globale.
Enfin, les enseignants doivent faire preuve de compréhension et d’empathie envers les élèves qui ont recours au plagiat, car, selon le Writing Center, il est essentiel de reconnaître que de nombreux étudiants plagient en raison d’un déficit de connaissances, d’un manque de confiance en eux ou encore d’une pression trop forte exercée sur eux.
Le Business au service de l’ouverture des portes ouvertes…
Les évolutions sociétales ont fait fleurir une myriade de cabinets de conseil spécialisés dans l’inclusivité et la diversité. Prenons Triangle Investigations à New York : ce cabinet se penche notamment sur des cas de discrimination, qu’ils soient liés au sexe, à l’origine ethnique, à la race, au genre ou à l’orientation sexuelle. Pour le compte d’une organisation mondiale à but non lucratif, le cabinet est intervenu suite au signalement d’une employée éthiopienne qui se plaignait que ses collègues l’interrompaient fréquemment lors des appels Zoom, commentaient l’inintelligibilité de son anglais et l’excluaient des réunions. L’intervention réalisée par Triangle Investigations a permis de dénoncer le racisme linguistique dont sont victimes les personnes utilisant un anglais non standard. En raison de leur manière de s’exprimer, certaines personnes peuvent se retrouver marginalisées, jugées, pénalisées, voire exclues. Les conclusions de ce cabinet ont conduit le client (l’organisation mondiale à but non lucratif) à mettre en place une formation pour ses employés et des suivis RH pour résoudre le problème.
Ce cas a été mentionné dans un article de la célèbre chaîne anglaise BBC, dont les commentaires s’alignent parfaitement avec l’idéologie défendue par ces universités, associations et cabinets de conseil : « À l’échelle mondiale, de plus en plus de personnes utilisent l’anglais. Mais cette langue évolue constamment en raison des différentes façons dont les nations et groupes l’utilisent. Pourtant, au lieu d’embrasser cette diversité linguistique, nous continuons à classer certains types d’anglais au-dessus d’autres, ce qui signifie que les locuteurs natifs et non natifs dont l’anglais diffère de ce qui est considéré comme standard font l’objet de discriminations. Toutes les formes de discrimination linguistique ne sont pas intentionnelles, car de nombreuses personnes qui pensent être inclusives ne réalisent pas que leurs biais intrinsèques les poussent à faire des jugements inconscients. »
Quand l’Occident se tire une balle dans le pied…
Quel que soit le sujet, la matière ou la discipline, il est évident que les écarts de niveau entre les individus créent des différences. Ceci est inévitable. Avec le wokisme, ces différences sont systématiquement perçues comme des discriminations, revêtant ainsi des aspects négatifs. Tout est une question d’interprétation. Nous sommes donc confrontés à une idéologie qui condamne toute forme de supériorité des uns sur les autres, même lorsqu’elle est naturelle ou résulte simplement d’un effort fourni. Le refus des évidences et des réalités est l’une des caractéristiques du wokisme : apprendre, c’est avant tout admettre que l’on ne sait pas !
Quel est l’avenir de l’enseignement, si certains refusent l’idée d’être corrigés, et d’autres refusent d’imposer un standard jugé trop oppressant ? Allons-nous assister à l’effondrement du niveau, et à un affaiblissement culturel et intellectuel généralisé ? Cette remise en question du niveau d’exigence est préoccupante, car elle nous conduit inévitablement vers un nivellement par le bas.
L’apprentissage nécessite de l’humilité, du travail et de la pugnacité. Croire que l’on peut progresser sans effort est une illusion. Le wokisme installe les individus dans une démarche victimaire qui, in fine, laisse peu de place à l’effort individuel. Sa rhétorique n’incite pas les gens à se prendre en main, bien au contraire. La différence n’est pas perçue comme une source d’émulation inspirante, mais comme une injustice à vaincre par le combat. Ceux qui estiment que la fainéantise fait partie de la nature humaine conviendront que ce n’est pas ainsi qu’elle sera atténuée.
Avec le wokisme, l’éducation est présentée non plus comme une source d’émancipation, mais comme un instrument d’oppression. Si l’on pousse ce modèle à l’extrême, où cela nous mènera-t-il ? À un crétinisme généralisé ? À un peuple d’assistés ? Il sera alors temps que l’homme soit remplacé par des machines. Dans cette perspective, on peut compter sans hésitation sur l’intelligence artificielle et sur la contribution potentielle de… Bill Gates.
Et tout cela ne fait que réjouir certains pays, notamment en Asie, où l’on n’hésite pas à valoriser et à promouvoir l’excellence.
Philippe Pulice
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