CONSIDERATIONS GENERALES
Le pouvoir présidentiel actuel fait l’objet d’une controverse sur son essence monarchique. Est-ce un mal ? Sans doute pas. Cela nous permet de nous poser la question de savoir si oui ou non nous pouvons nous défaire d’une tendance qui s’est dessinée au fil des siècles.
L’unicité du corps social dépend, pour une bonne part, de l’incarnation du maître et de son rapport au peuple. Le passif que nous avons avec le régime de nos ancêtres est conséquent, et rien de ce que nous faisons présentement ne se fait sans l’héritage politique et philosophique qu’il nous laisse.
Le plus important, la souveraineté, a été le fruit d’un travail considérable qui a été semé d’embûches et d’évènements inattendus.
Qui aurait pensé que la réunion des princes autour de Louis VI contre l’empereur amorçait la naissance d’un état souverain et d’un peuple libre ?
Qui aurait pensé que son successeur, réunissant ses vassaux à Soissons, établissait les premières grandes ordonnances législatives de l’ère capétienne ?
D’une situation embryonnaire et incertaine, nous avons vu apparaître l’organisation sociale la plus importante et la plus prolifique du monde occidental.
D’une société exclusivement tournée vers l’intérêt privé, la centralité du pouvoir souverain a créé les notions de bien public et d’intérêt général. Ce qui est important, c’est que le roi doit se porter garant de la continuité de l’Etat, et servir au mieux la prospérité de ses sujets. Si dans un premier temps il ne doit de compte qu’à Dieu, il va y avoir un rapport direct avec le peuple qui va s’établir. Ce « père du peuple » doit utiliser sa force souveraine contre les abus des corps intermédiaires et des grands féodaux.
En effet, comme le disait Voltaire « En France les peuples furent esclaves jusque vers le temps de Philippe-Auguste ; les seigneurs furent tyrans jusqu’à Louis XI ». Or, Philippe Auguste a détruit la révolte féodale de 1185 et a écrasé la coalition internationale de 1214. Louis XI, quant à lui, a vaincu l’Etat Bourguignon et a entravé l’ambition sans limite des princes. L’exemple est éloquent : ces deux grands souverains, pères de la monarchie absolue, ont émancipé leurs sujets, et ce en même temps qu’ils confortaient leur propre pouvoir. Il y a une association de fond entre le peuple et le monarque. En France, contrairement aux autres pays européens, la centralité du pouvoir est source d’émancipation et de liberté. En Allemagne, en Angleterre ou en Espagne, les souverains ont abusé de leurs prérogatives, et la concentration des pouvoirs a toujours eu chez eux une connotation négative. Chez nous, au contraire, le mouvement a été plus linéaire et plus continu. Le roi protège, il ne tyrannise pas. Il incarne une force supérieure qui doit fédérer les peuples autour d’un même idéal.
C’est cette philosophie que nous avons reçue en héritage, et c’est ce rapport singulier à l’État que nous avons développé au fil du temps.
QUELQUES ANALOGIES
La Vème République est une synthèse entre la tradition monarchique de la France et son aspiration à préserver sa forme républicaine. Le Général De Gaulle l’a parfaitement compris. Son texte démontre que la dialectique de l’histoire permet de mieux appréhender l’avenir.
Néanmoins, et nous le voyons de plus en plus, la pratique du pouvoir actuel reprend les travers de l’ancien régime. Par exemple, si l’article 20 de la Constitution dispose que le gouvernement dirige la politique de la nation, et que le premier ministre dirige ce même gouvernement (article 21), nous savons fort bien que cela n’est pas véritablement le cas. “Le Président est le véritable chef de la majorité” (Edouard Balladur). Sa volonté l’emporte, sauf cas de force majeure en cas de cohabitation. C’est un point qui a été aggravé par l’instauration du quinquennat. La majorité parlementaire étant devenue totalement inféodée aux résultats de l’élection présidentielle, le premier ministre et le gouvernement perdent encore un peu plus ce qui leur restait d’autorité. Lorsque le septennat existait encore, il n’était pas rare de voir une assemblée élue indépendamment de l’échéance présidentielle (1973, 1993…). Dans ces cas-là, la représentation nationale n’était pas soumise au bon vouloir du président de la République, et le chef de l’Etat ne se confondait pas avec le chef de la majorité.
La comparaison avec l’ancien régime est intéressante ici. En effet, lorsque le roi gouverne, il ne règne pas. Il doit toujours y avoir un écran entre le souverain et l’opinion publique ; car, dans le cas contraire, il risque de se retrouver dans le camp de la politique qu’il mène. Il perd sa stature de garant de la continuité de l’Etat. Jean Christian Petitfils nous apprend que Louis XIV avait commis l’erreur de ne pas prendre de premier ministre ou de grands ministres après la mort de Colbert et de Louvois. En quoi était-ce une erreur ? Et bien tout simplement parce que ces derniers captaient toutes les colères et tous les ressentiments de la politique qui était conduite.
Auparavant, l’image du roi était préservée car « ah si le roi savait » disait-on. En décidant de tout sans intermédiaire, le monarque a pris sur lui toute l’impopularité de certaines décisions. C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui. Le président de la République, et M. Macron particulièrement, décide de tout et se rend responsable de tout. Il est élu contre un autre camp et il reste dans un rôle très clivant dans l’exercice de ses responsabilités. La nation ressort fracturée à chaque fin de mandat.
LE PRÉSIDENT NE PEUT PLUS ÊTRE UN VÉRITABLE MONARQUE
Le président a de par la Constitution beaucoup de pouvoirs, certes, mais il apparaît clair qu’il n’a finalement qu’un très faible impact sur la marche des affaires publiques. C’est le premier des « détaillants » comme le disait Philippe Séguin ; ce n’est plus un grossiste.
Il en ressort donc que sans la souveraineté nationale, le chef de l’Etat n’est donc qu’un commis. Son pouvoir est débordé par les féodalités nouvelles et leurs maires du palais. Les grands relais d’opinion, les lobbys, et les Etats continents sont infiniment plus puissants que le chef de l’Etat français. Ces grands groupes d’intérêt privés, sous couvert de progressisme, réduisent le champ national à une simple expression rétrograde. Pire encore ! Les présidents français, loin d’utiliser leur pouvoir pour protéger leur pays, se louent d’avoir bradé la souveraineté de la nation. Loin d’être les monarques absolus que l’on décrit, ils ne sont que la pâle copie des « rois fainéants » de l’époque mérovingienne. Ils n’ont d’emprise sur rien. La monnaie n’est plus de leur ressort, le pouvoir législatif se dilue entre la commission européenne et la puissance des lobbys… Le monde moderne n’est qu’une « vaste destruction » (Mirabeau). Cela nous rappelle ces forces qui, à la mort de Louis XIV, ont cassé la gouvernance de l’Etat pour y introduire les princes qui en avaient été chassés. Tout cela sous couvert de modernité et d’ouverture.
C’est pareil aujourd’hui. Nous sommes sous le joug d’un pouvoir féodal nouveau et rétrograde : en effet, il s’agit d’un ordre mondial oligarchique, anti national et anti démocratique. Le monarque républicain use de son pouvoir pour le favoriser et non pour protéger l’unité nationale. Les principes fondateurs de l’Etat sont donc viciés au plus haut point : le chef de l’Etat se rend responsable de tout, et ce alors même qu’il n’est plus compétent pour rien. Il n’y a pas pire pour détruire les fondements d’une nation.
Le président Macron peut mépriser le parlement et imposer des réformes comptables si cela l’amuse, il n’en demeure pas moins que son rôle est très limité. Être une assistante sociale compétente et un bon comptable ne font pas de vous un homme d’Etat capable de veiller à la grandeur d’une nation de quinze siècles.
BRÈVE CONCLUSION
La dissolution progressive de l’Etat a entériné la fin de la fonction arbitrale du chef de l’Etat. L’adoption des traités communautaires, la prédation des oligarchies économiques et financières, les blocages de la technostructure et des notables… Tout cela conduit au délitement de la puissance souveraine en France. Celle-ci est diluée dans une masse qui ne correspond nullement à sa culture et à son histoire. Par ailleurs, comble du déshonneur, loin de garantir la liberté de la nation, les présidents français sont devenus les garants de son abaissement et de son impuissance ; ils ne gouvernent plus. L’esprit du « honteux » traité de Troyes (1420) règne en maître depuis le départ du général De Gaulle. Chacun sait qu’une France dirigée d’une main vigoureuse serait une gêne : la liberté du peuple français passe par le retour d’un État politique fort et délié.
L’absolutisme, au sens autorité délié (absolutus en latin), est aujourd’hui nécessaire à l’indépendance nationale.
Cela s’appelle la souveraineté.
Axel Thoilliez
Excellent article. L’avènement projeté d’une supranationalité européenne
précurseur d’une nation n’est pas au rendez vous parce que justement on fait avec l’intégration des citoyens des individus consommateurs sans verticalité pour incarner leurs aspirations. Si c’est à dessein, c’est une trahison.