En France, la notion de mérite varie significativement selon l’orientation idéologique des gouvernants qui influence fortement les directives mises en œuvre en matière d’éducation, d’emploi et de politique sociale. Particulièrement attachée à la notion d’égalité des chances, la gauche considère le mérite non seulement à travers les résultats individuels mais aussi en fonction du contexte social et économique dans lequel ces résultats sont obtenus. Elle critique les avantages hérités tels que l’accès privilégié à une éducation de qualité ou à des réseaux professionnels, perçus comme faussant le véritable mérite basé sur l’effort personnel. En conséquence, elle défend des politiques de redistribution visant à équilibrer les chances entre les citoyens, comme les impôts progressifs ou des bourses pour les étudiants défavorisés. Pour sa part, la droite qui met en avant l’effort individuel et la réussite personnelle apparaît minimiser l’influence du contexte social ou économique. Elle prône moins de régulation gouvernementale et plus de concurrence dans les marchés, y compris l’éducation et le marché du travail, en se fondant sur la conviction selon laquelle un tel contexte a pour effet de stimuler l’effort individuel et de récompenser le mérite. La droite est souvent sceptique quant aux politiques de redistribution, les considérant comme pénalisantes pour ceux qui réussissent et décourageantes pour l’initiative personnelle et l’innovation.
Malgré ces divergences, les deux pôles de l’échiquier politique admettent l’importance de reconnaître les talents et compétences, mais diffèrent sur la manière de les mesurer et de les récompenser. En matière d’éducation, par exemple, la gauche favorise des politiques assurant un accès égalitaire à des ressources de qualité pour tous les enfants, tandis que la droite peut soutenir les écoles privées sous contrat ou le financement privé, dans la perspective de promouvoir une concurrence saine récompensant le mérite et surtout d’éviter les vicissitudes de l’école public qui peine à maintenir le niveau des élèves. Ces différences de vue reflètent des philosophies fondamentalement différentes sur la signification de la réussite dans la société et sur le rôle du gouvernement dans la facilitation ou la régulation de cette réussite.
Si la notion de mérite élevé au rang de principe moral nous invite à réfléchir à des questions fondamentales sur la manière dont les sociétés définissent les inégalités structurelles qui affectent la capacité des citoyens à concourir sur un pied d’égalité, il nous semble pertinent et légitime d’analyser le sujet en se plaçant dans la position de l’individu qui mobilise ses capacités d’action. Dans ce cas, il ne s’agit pas de considérer les différents « bagages » dont il dispose pour évoluer dans son environnement, mais plutôt d’évaluer la façon il mobilise son patrimoine culturel et hiérarchise ses décisions. Nous proposons ainsi une approche consistant à revisiter certaines idées de penseurs tels que Thomas d’Aquin, Emmanuel Kant, et Montaigne dans le but d’explorer, sous un angle affecto-cognitif, la façon dont les individus contemporains peuvent être qualifiés de « méritants ». À cette fin, après l’avoir explicité notamment dans La dynamique des valeurs (Kleden, 2022) et dans Vrai, croire-vrai et préférences (Kleden, 2024), nous proposons une méthode d’analyse du mérite fondée sur une modalité particulière de quantification du courage individuel. Nous commencerons par poser la prémisse suivante : le mérite, tel que conceptualisé sous l’angle de la générosité par Thomas d’Aquin et Emmanuel Kant peut être réinterprété via le fameux principe de Montaigne usuellement exprimé par la formule penser contre soi-même, et être évalué en fonction de l’effort psychique que nécessitent certaines prises de décision. Il est clair que suivre la pente de la décision évidente n’est pas couteux psychiquement car aucune émotion aversive n’est générée dans ce cas contrairement à ce qu’il se passe quand la conscience s’oblige à considérer toutes les options pour parfois en choisir une plus rationnelle mais possiblement génératrice d’affect négatif. Evidemment, nous sommes bien conscient que la mesure de cet effort n’est pas explicitement mesurable dans la vie courante, du moins tant que les instances de contrôle institutionnelles qui se renforcent continuellement n’ont pas un accès direct à la psyché des individus. En conséquence, la difficulté de mesure explicite et externalisable fait que ce type de psychanalyse reste essentiellement une auto-analyse.
En faisant référence au processus mental de prise de décision en vue d’une action selon le principe général suivant : Cognition + émotion = conation, une évidence peut être mentionnée : la personne doit être animée par une ambition, une forme de rationalité en finalité, impulsée par une émotion positive ou négative. De plus, il convient de préciser que notre analyse s’intéresse à tous les types de décision et pas uniquement celles qui, laborieusement enchainées les unes aux autres, permettent à l’individu de s’élever au-dessus de sa position sociale initiale.
On peut ajouter que le contrôle social, tel que défini en sociologie et en psychologie sociale, contribue à façonner les comportements ; ainsi, les critiques, le sarcasme, les invectives exercent une pression psychologique au sein du cercle familial ou via d’autres agents sociaux évoluant sur les réseaux sociaux ou dans le quartier où l’individu habite. Pour prendre un cas classique, on peut illustrer le propos en se référant à l’exemple d’un individu à qui l’on a répété qu’il n’arriverait à rien dans le vie, dans ces conditions, celui-ci peut être renforcé dans un besoin d’auto-estime qui le mène à vouloir prendre sa revanche et ainsi renforcer sa capacité d’action. Cette démarche auto-réalisatrice pouvant devenir le principal moteur de l’ambition est proche du besoin de vengeance de l’individu à destination des personnes qui ont pu « l’inférioriser » et ainsi blesser son égo.
Après avoir exposé ces quelques éléments donnant une idée du système de dispositions susceptibles d’influencer l’avenir des agents sociaux, nous allons explorer succinctement les modalités, souvent complexes, de la prise de décision, un processus que nous pourrions décrire comme un calcul de sens qui peut, ou non, aboutir à une décision concrète. À noter qu’en l’absence de décision ferme, un individu peut souvent se résoudre par défaut à l’inaction, ce qui constitue en quelque sorte une décision passive empreinte d’aporie. Prenons un exemple de calcul de sens moral qui se pose lorsque l’individu doit naviguer entre ses inclinations naturelles spontanées en conflits avec ses valeurs morales. En l’occurrence, il s’agit du dilemme de Kohlberg également nommé dilemme[1] de Heinz qui peut être énoncé dans les termes suivants :
La femme de Heinz est accablée par la maladie. Son état est si grave qu’elle ne survivra pas un instant sans un médicament X. Ce remède est hors de prix et Heinz n’a pas les moyens de l’acheter. Il se rend donc chez le pharmacien et lui demande de le lui vendre à crédit. Le pharmacien refuse. Que doit faire Heinz ? S’emparer du médicament par la force ou la ruse ou laisser mourir sa femme ?
On remarquera que le résultat du calcul de décision peut se résumer par un choix binaire, Heinz dérobe le médicament ou il ne le dérobe pas. Sa conscience est soumise à une tension pouvant être exprimée dans les termes suivants :
Valeurs génératrices d’émotions | Valence et Intensité | Résultat potentiel induit |
L’idée de pouvoir sauver ma femme génère une émotion positive anticipée | +4 | Heinz sauve sa femme |
L’idée de voler le médicament et de passer outre l’interdit morale « tu ne voleras point » génère une émotion négative. | -3 | La femme de Heinz meurt |
Le principe important dans ce tableau est la mention des émotions induites par le dilemme. Elles sont de deux ordres, les émotions de valence positive qui en l’occurrence réfère aux sentiments de Heinz déterminés par la perspective de sauver sa femme. Quant à l’émotion négative, elle est induite par la perspective de passer outre l’interdit morale du vol. L’élément à retenir de ce tableau est l’indication de l’intensité affecté aux émotions qui peuvent être de valence positive (le bonheur, la joie, l’amour, l’espoir, etc.) ou de valence négative (la culpabilité, la peur, la honte, la jalousie, etc.) Les valeurs[2] sont les éléments déterminants de ce mode d’analyse affecto-cognitif qui réfère à un paradigme plus global, l’axiodynamique, qui propose une interprétation des prises de décision. Comme l’indique le tableau ci-dessus, une décision résulte de la sélection implicite par la psyché de la valeur, parmi toutes celles participant au calcul de sens, dont l’intensité de l’émotion, soit positive, soit négative, est la plus forte. Pour le dire plus simplement, une décision est souvent déterminée par la valeur de plus forte intensité affectuelle. Concernant la décision[3] de Heinz (cf. le tableau ci-dessus), l’option comportant la plus forte intensité émotionnelle réfère à l’idée de sauver sa femme.
Prenons maintenant l’exemple de la veuve extrait de la Somme théologique de Thomas d’Aquin :
La valeur du mérite peut être estimée à partir de deux principes. D’abord à partir de sa racine, qui est la charité et la grâce ; ce poids du mérite correspond à la récompense essentielle, qui consiste dans la jouissance de Dieu ; en effet, celui qui agit avec une plus grande charité jouira plus parfaitement de Dieu. Ensuite on juge le mérite à partir de l’importance de l’acte, laquelle est double : absolue et proportionnée. En effet, la veuve qui mit deux piécettes dans le Trésor fit une œuvre moindre en quantité absolue que ceux qui y déposaient de grandes offrandes ; mais en quantité proportionnelle la veuve fit plus, selon la sentence du Seigneur, parce que cela dépassait davantage ses ressources. Cependant ces deux valeurs méritoires correspondent à la récompense accidentelle, qui nous réjouit du bien créé. (d’Aquin, 1984)
On peut noter que, malgré sa pauvreté, la veuve choisit de donner deux pièces au temple. Son geste est remarquable non seulement pour sa proportionnalité par rapport à ses moyens, mais aussi en tant que l’expression de sa capacité à privilégier des valeurs telles que la générosité et l’altruisme par-dessus une aversion naturelle à la perte. Cet acte de don, bien que coûteux pour elle, surpasse ses inclinations égoïstes en raison d’une valeur qu’elle estime supérieure, comme le soutien à la collectivité ou à une cause spirituelle.
Dans le même ordre d’idée, intéressons-nous maintenant à une citation de Kant qui met en exergue le fait que la valeur méritoire d’un acte ne réside pas seulement dans ses conséquences mais aussi dans l’effort moral qu’il requiert :
Dans les choses morales, on ne doit pas non plus regarder toujours le zéro comme une négation du défaut, ni une conséquence positive de plus de grandeur comme une preuve d’une plus grande activité déployée dans cette direction, pour arriver à cette conséquence. Donnez à un homme dix degrés d’une passion qui est dans un certain cas contraire aux règles du devoir, par exemple l’avarice ; faites-lui dépenser douze degrés d’effort, d’après les principes de l’amour du prochain : la conséquence est qu’il sera charitable et bienfaisant de deux degrés. Supposez-en un autre de trois degrés d’avarice et de sept degrés de pouvoir d’agir d’après les principes de l’obligation : l’action sera de quatre degrés, mesure de son utilité pour autrui, par suite de la lutte de son désir. Mais il est incontestable qu’en tant que cette passion peut être regardée comme naturelle et involontaire, la valeur morale de l’action du premier est plus grande que celle du second, quoique, si l’on voulait les estimer d’après la force vive, la conséquence dans le second cas dépasse celle du premier. Il n’est donc pas possible que les hommes puissent conclure avec certitude le degré des intentions vertueuses des autres d’après leurs actions. Celui qui voit le fond de notre âme s’est réservé à lui seul ce jugement[4]. (Kant, 1862 p. 181)
Pour simplifier le principe du mérite véhiculé par ce texte, imaginons deux individus avec le même patrimoine économique qui décident de donner chacun la même somme d’argent à une cause charitable. Le premier individu est très avare et surmonte une grande réticence interne pour effectuer son don alors que le second, moins avare, fait son don sans effort notable. Selon Kant, même si le montant donné est identique pour les deux individus, l’action du premier a une valeur morale plus élevée du fait de l’effort psychologique important qu’il a dû déployer pour surmonter son avarice. L’exemple indique que la valeur morale d’une action ne se mesurent pas simplement en termes de leurs conséquences visibles, mais aussi en fonction de la lutte intérieure et l’effort moral que l’individu a dû investir pour réaliser cet acte.
Le formalisme affecto-cognitif, permet de présenter le calcul de sens moral de l’individu comme une tension entre différentes valeurs qui aboutit à une décision. Tentons de décliner l’ensemble des valeurs mobilisées par la conscience de l’individu avaricieux :
Valeurs génératrices d’émotions | Valence et Intensité | Action Induite |
Avarice (désir de conserver ses biens) | -4 | Éviter de donner |
Générosité (souhait d’aider les autres) | +3 | Donner malgré les résistances |
Devoir moral (obligation d’être juste) | +2 | Donner conformément aux normes |
Empathie (compassion pour les autres) | +2 | Donner pour soulager autrui |
Peur du jugement social (réputation) | -1 | Éviter de donner |
Satisfaction personnelle (auto-estime) | +1 | Donner pour se sentir bien |
Désir de bonne réputation | +2 | Donner pour améliorer son image |
On obtient la situation[5] suivante qui se résume en un choix binaire, je donne ou ne je donne pas d’argent, soit :
- Eviter de donner : -4+(-1) = -5
- Donner : +3+2+2+1+2 = +10
Le tableau ci-dessus présentant des valeurs génératrices d’émotions fournit une structure analytique permettant d’exposer rationnellement la façon dont les différentes valeurs en jeu interagissent dans le théâtre de la conscience. La décision réfère à la fixation de la « préférence » finale et détermine le principe d’action de l’individu.
En explorant les conceptions de mérite moral de Thomas d’Aquin et d’Emmanuel Kant à travers cette grille d’analyse affecto-cognitive, nous nous penchons sur la manière dont les valeurs personnelles génératrice d’émotions façonnent les décisions, qui peuvent être ou non d’ordre morale. D’Aquin met en lumière la charité et la grâce comme fondements du mérite, valorisant les actions qui, proportionnelles aux moyens de l’individu, transcendent ses ressources personnelles pour toucher au divin. Kant expose un principe proche de celui de d’Aquin où le mérite d’une action est jugé non seulement par ses conséquences mais aussi par l’effort moral nécessaire pour surmonter des inclinations contraires à une interprétation du devoir moral. Selon le philosophe de Königsberg, même des actions au résultat modeste peuvent avoir une valeur morale élevée si elles requièrent un effort considérable pour contrer des désirs égoïstes.
Il convient de noter que Montaigne, qui intégrait la notion d’émotion dans une démarche intellectuelle que l’on présente parfois par la formule penser contre soi-même, fondait ses principes sur une logique d’examen critique et de scepticisme profond. Ses réflexions révèlent une démarche intellectuelle où l’auto-examen et la remise en question systématique des passions, des préjugés et des certitudes prédominent. Ainsi, Montaigne, auteur des Essais, a bien conscience de la force des émotions,
Toutes les passions qui peuvent être appréciées et digérées ne sont que modérées. Les soucis légers se disent, les grands laissent sans voix[6]. (Montaigne (de), 1617)
Son approche se caractérise par un dialogue intérieur rigoureux, où la contradiction et le doute sont utilisés comme des outils pour parvenir à une compréhension plus nuancée de la vérité personnelle et du monde extérieur. En explorant ses pensées et ses émotions, Montaigne invite à une introspection qui vise à dépasser les apparences pour atteindre une réflexion plus authentique et moins influencée par les passions. On peut dès lors présenter cet effort de réflexion intime comme un processus individuel permettant à l’individu de transcender ses inclinations immédiates en essayant de reconsidérer rationnellement la hiérarchie de valeurs qui nous semble trop souvent classées implicitement en fonction de leur intensité émotionnelle. On peut ajouter qu’en matière de hiérarchisation des valeurs, certaines d’entre elles comme l’empathie et la satisfaction personnelle peuvent jouer un rôle de premier plan.
Dans la mesure où toute décision peut être perçue comme le résultat d’un calcul affecto-cognitif complexe, intégrant à la fois des impulsions émotionnelles et des principes rationnels, nous considérons que le concept d’axiodynamique réfère à une déclinaison quantifiée et logique de la démarche de Montaigne. Ainsi, l’acte de la veuve qui donne deux piécettes, bien que minime en apparence, est magnifié par la disproportion entre son geste et ses moyens, reflétant un engagement profond envers des valeurs de générosité et d’altruisme. Kant, illustrant cela par l’exemple de l’avaricieux qui, malgré sa disposition naturelle, agit généreusement, montre comment les actions peuvent être moralement significatives, dès lors qu’elles découlent d’une lutte intérieure intense. Cette perspective fournit une interprétation hétérodoxe du mérite en insistant sur la façon dont certains choix – se soldant par une décision binaire, j’agis ou je n’agis pas – peuvent être le théâtre de conflits internes profonds, reflétant une lutte entre de multiples inclinations affecto-cognitives personnelles, en l’occurrence axées autour de principes moraux. Dans ce contexte analytique, une personne est considérée méritante si elle force sa nature pour obtenir un résultat susceptible d’être considéré positif à la fois pour elle-même, en développant une morale de fort nietzschéenne, et pour son collectif d’appartenance.
In fine, il ressort de la perspective développée dans ce texte que le mérite réfère au principe selon lequel un individu est d’autant plus méritoire qu’il parvient à atteindre les objectifs qu’il s’est fixés en dépit des obstacles rencontrés et des freins psychologiques qui inhibent ses décisions et donc son action. Pour autant, l’idée selon laquelle le niveau social atteint par ceux parfois qualifiés de transclasses peut être considérée comme une mesure légitime du mérite doit être évalué en fonction de la dynamique de leur psyché. Comme indiqué en début de cet exposé, l’individu peut certes s’être fixé un but cadré par une certaine rationalité en finalité mais être animé par une soif de revanche incorporée à la suite de moqueries qui ont affecté son égo et son auto-estime. Dans ce cas, est-ce méritoire ? Quoi qu’il en soit, comme l’a proposé Bourdieu, l’examen de la réalité sociale montre que le résultat obtenu est corrélé à la « quantité » de capitaux bourdieusiens hérités. La mesure du mérite serait donc plus justement mesuré par le quantum d’effort mobilisé pour surmonter des conditions adverses. Le type de sentiment, de valence positive ou négative importe-t-il ? Doit-on distinguer le moteur allumé par la soif de soigner une confiance en soi défaillante à la suite d’une blessure égotique ? Ce serait introduire un principe de nature axiologique, sur ce point, il ne semble pas possible de proposer une option universalisable.
On retiendra un aspect essentiel de la notion de mérite applicable au sein de la société française, le principe de sa relativité, autrement dit, son évaluation nécessite un comparatif complexe intégrant une mesure des capitaux bourdieusiens, ceux hérités par la personne objet de l’étude ainsi que ceux dont héritent les individus en concurrence dans l’espace social. Ensuite, s’agissant du milieu éducatif, la quantification axiodynamique de l’effort cognitif consacré à un calcul de décision n’étant pas opératoire dans les termes que nous avons exposé, les professeurs n’ont guère d’autres moyens de mesurer les efforts scolaires qu’en fonction de la notation des devoirs et interrogations écrites. Il peut donc être pertinent de développer des méthodes d’évaluation alternatives qui reconnaissent et quantifient la volonté de manière plus holistique. Cela pourrait inclure des évaluations basées sur des critères multidimensionnels qui prennent en compte non seulement les résultats académiques mais aussi les compétences socio-émotionnelles et comportementales comme la résilience, la créativité, et la capacité à collaborer et à innover face à l’adversité. Ces méthodes intégrant des mesures quantitatives permettraient de fournir une mesure plus juste et complète du mérite, en adéquation avec les réalités complexes des parcours individuels. N’oublions pas un facteur important, afin d’être en mesure de mobiliser pleinement son potentiel cognitif et émotionnel, il est essentiel que l’élève ou l’individu en général ne soit pas en période de doute existentiel, affecté par un état dépressif ou déterminé par un système de disposition comportant des valeurs antagoniques. Nous conclurons ce bref examen de la notion de mérite en considérant que la personne la plus méritante est probablement celle qui, en pensant contre elle-même et en ne se laissant pas entraîner sur la pente naturelle de la solution de facilité, parvient à surmonter activement les défis sociaux et économiques qu’elle rencontre.
Bibliographie
d’Aquin, Thomas. 1984. Somme Théologique. Paris : édition du Cerf, 1984.
Kant, Emmanuel. 1862. Essai sur l’introduction en philosophie de la notion des quantités négatives. Paris : Librairie Philosophique de Ladrange, 1862.
Kleden, Alan. 2022. La Dynamique des valeurs. Paris : L’Harmattan, 2022.
—. 2024. Vrai, Croire-vrai et préférences. Paris : L’Harmattan, 2024.Montaigne (de), Michel. 1617.Essais (Les). Paris : Jean Petit-Pas, 1617
[1] L’ouvrage suivant de Christine Cannard, Le développement de l’adolescent : L’adolescent à la recherche de son identité, éd. De Boeck, 2015, p.128, développe le sujet du dilemme de Heinz également nommé dilemme de .
[2] Définition de la notion de valeur : nous nommons valeur (ou mémotion) toute information mémorisée (un souvenir) associée à un affect. Une information non polarisée affectuellement sera considérée comme disposant d’une « affectivité neutre », dès lors, toute information en mémoire qui « perd sa neutralité » devient une valeur disposant d’un affect appétitif ou aversif (Kleden, 2022 p. 160).
[3] La décision de Heinz est un choix contingent, d’autres individus aurait pu opter pour le respect de l’interdit du vol.
[4] p. 181, Emmanuel Kant, Essai sur l’introduction en philosophie de la notion des quantités négatives (1763), Traduction par Joseph Tissot, Mélanges de logique, Ladrange, 1862.
[5] Le principe consistant à cumuler les vecteurs (intensité de l’émotion) de chaque valeur intervenant dans un calcul de décision a été présenté dans La dynamique des valeurs (Kleden, 2022 p. 168).
[6] La citation original en vieux français et latin est la suivante « Toutes passions qui se laissent gouster, et digerer, ne sont que mediocres, Curæ leves loquuntur, ingentes stupent. »
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