La chronique anachronique de Hubert de Champris : « Un Bobin sinon rien »

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Bobin, sous la direction de Claire Tiévant et Lydie Dattas, Les Cahiers de l’Herne, 288 p., 33 .

 Une éternité connectée au monde » : c’est ainsi que l’explorateur Jean-Louis Étienne caractérise l’œuvre de celui qu’il choisit de baptiser « Bobin du Creusot », faisant fi de son prénom Christian « même si, ajoute-t-il, la chrétienté vous habite. » Il ne fait pas être grand clerc, fusse de la religion laïque, pour percevoir que, plus que son christianisme, c’est cette chrétienté-ci une manière catholique d’être-au-monde infusant un pays, une personne qui capte (euphorique captivité !) par sa poésie insidieusement heideggerienne, pleinement franciscaine ce professeur émérite à la Sorbonne « en charge de la métaphysique » qu’est Pierre Magnard. C’est ce patient labour de nos terres ancestrales, – géologie nourrie d’Histoire, géographie de nos mentalités dont c’est le labeur du poète de s’acharner à en exorciser le mental pour y laisser place à la religiosité qui fascine le spécialiste du général que fut Pascal.

Et, une fois encore, érudit dudit Bobin, étourdi de ses si simples et profondes recherches qui parvenaient à l’extirper de son chagrin, cite-t-il Nicolas Machiavel qui, en sa seconde vie, rappelle-t-il « raconte qu’après une matinée consacrée à ses forêts de châtaigniers, son après-midi à jouer aux cartes avec les paysans du village, il revêt son habit et se pare de manches de dentelles pour se mettre à l’écriture comme à la célébration d’une liturgie. » Est-ce une semblable ou une toute autre liturgie qui se célèbre ici ? Dans la poésie bobinienne, à l’animisme subtil surplombé d’un panenthéismetrès peu spinozien qui, jamais, n’annule la patte du Dieu chrétien, Pierre Magnard respire l’humus de ses terres ardéchoises, savoure la soupe aux châtaignes, s’entend causer à ses gens, annone et récite la grammaire primordiale qui favorise l’imagination de l’Être. Bobin est le mage de ces images, – fonction première du pur poète, si l’on y réfléchit bien. Et le secret de Magnard est d’avoir percé et pensé ce secret : cette œuvre est un oxymore, mais un oxymore résolu. Elle décrit la Nature en la décryptant, donnant l’impression de la glorifier jusqu’à dissoudre en elle toute trace de divinité tandis que ce Dieu, pourtant, d’un même mouvement, impromptu rejaillit en Personne, – Trinité palpable. J’appelle paradoxe un oxymore aboli : la forme écrit l’immanence, le fond dit la transcendance.

Poète des petits biens, instance des petits riens, Bobin l’anti-delermien n’invite pas aux vapeurs du stérile hédonisme mais, plutôt, aux brumes par essence destinées à s’effacer derrière le soleil comme sa prose elle-même, et d’elle-même, laisse sourdre ce qu’elle savait contenir dès son commencement (qui est un ensemencement) : une trouvaille qui se travaille, un Dieu issu d’un style. Manière, aussi, pour Christian Bobin, au-delà de Saint-Anselme, de mettre en œuvre cette pensée passablement pascalienne de Magnard : « On n’écrit pas pour prouver, on écrit pour trouver. »

Hubert de Champris

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