Deux implications logiques d’une constitutionnalisation de l’avortement

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Les législateurs ont l’obligation de ne pas légiférer dans l’urgence, mais en considérant prudemment les conséquences logiques de leurs décisions. La constitutionnalisation de l’IVG aurait à cet égard deux implications rigoureuses, sans doute inaperçues de ses promoteurs myopes, mais dont chacune n’équivaudrait à rien moins qu’à la rupture du pacte social.

Premièrement, on vise à renforcer, juridiquement et symboliquement, l’autorisation qu’a la femme de pratiquer librement l’IVG.

Malheureusement, cette décision va beaucoup plus loin. Elle revient aussi à donner à l’Etat le droit de mettre en place une politique démographique, qui comporterait, si besoin était, pour les mères, l’obligation d’avorter, comme ce fut le cas en Chine populaire.

En effet, ce qui est objet de droit fondamental peut aussi devenir, en certaines circonstances, objet de devoir essentiel et, par suite, d’obligation juridique. En constitutionnalisant un droit, l’Etat ne donne pas simplement l’ordre le plus impératif qui soit, il valide solennellement, au nom de tous, et malgré le dissentiment de beaucoup, un jugement de valeur d’ordre moral et très absolu. L’Etat proclame et déclare que l’avortement ne cause aucun tort réel à personne, n’est ni un mal, ni un moindre mal. Il devient un bien pur et indubitable. Je ne discute pas ce jugement moral. J’attire seulement l’attention sur le fait que, si notre Etat affirme ainsi, le plus fortement possible qui soit, la moralité sans réserve de ce type d’acte (ce serait d’ailleurs vrai pour n’importe quel autre), non seulement les citoyens y ont droit, mais absolument rien n’empêche que cet acte ne devienne pour eux (en l’espèce, pour elles), dans certaines circonstances, un devoir s’imposant catégoriquement. Si donc on reconnaît un droit fondamental de l’individu à l’avortement, alors on donne bel et bien automatiquement à l’Etat le droit de faire avorter, dans la mesure où la nécessité publique l’exigerait. Les myopes ne voient pas quel cauchemar ils préparent. Car la lutte contre une fraude plus que prévisible à l’avortement obligatoire, et la sécurisation du droit de l’Etat en la matière, pourraient aller jusqu’à interdire la gestation in utero et à rendre obligatoire la gestation artificielle. Et à cause de la constitutionnalisation de l’IVG, il serait impossible, juridiquement, d’échapper à toutes ces conséquences. La constitutionnalisation de l’avortement ouvrirait juridiquement la voie à une biocratie totalitaire ayant tout pouvoir sur les corps.

Deuxièmement, cette constitutionnalisation ouvrirait la voie, juridiquement, au totalitarisme sur les esprits.

Aucune objection de conscience ne pourrait plus tenir dans ces conditions. Mais au-delà des problèmes de la profession médicale, aussi importante soit-elle, ce qui est en jeu, universellement, ce n’est rien moins que l’avenir des lumières.

Le débat théorique et pratique sur l’avortement se centre sur la notion de personne. Du point de vue théorique, la question est : l’embryon est-il une personne, ou non, juridiquement, anthropologiquement, métaphysiquement ? C’est toute la question. Du point de vue pratique, à supposer qu’on n’arrive pas à sortir du doute, faut-il appliquer l’adage « dans le doute, c’est la liberté » ou l’adage « dans le doute, on s’abstient » ? C’est toute la question. La dépénalisation actuelle reste cohérente avec le doute et choisit d’appliquer le premier adage, « dans le doute, liberté ». Or, de bonne foi, n’est-ce pas une question théorique sur laquelle il y a légitiment discussion, incertitudes, doutes ? Et une question pratique qui n’a pas non plus de réponse immédiatement évidente ?

Si donc on constitutionnalise l’IVG, on met hors la loi dans la République par une dogmatisation intempestive la libre discussion sur une question, dont toute personne rationnelle et réfléchie sait pourtant de quelles obscurités elle est entourée. Si on admet un tel abus sur une question aussi importante et difficile, où seront les limites ? Une personne respectueuse de la Constitution se sentira obligée, avant de penser, de demander l’autorisation à la République, qui sera ainsi devenue despotique. Au motif de défense de ce droit fondamental (et bientôt de quels autres ?), de fil en aiguille, on étendra à l’infini, à tort ou à raison, et sans doute en dépit du bon sens, la liste des opinions anticonstitutionnelles, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien, non seulement de la liberté de conscience et d’expression, mais aussi de l’audace de raisonner et de communiquer le fruit de ses raisonnements – et finalement plus rien de la raison tout court. Le Sénat devra dire si, à son avis, l’audace de penser est juridiquement inférieure ou supérieure à la Constitution, et si, sans audace de penser, il peut encore y avoir une Constitution républicaine.

Conclusion ? Pour ces deux motifs, et quelques autres, il faut espérer que le Sénat, agissant avec raison et gravité, conclura au rejet d’une proposition inculte et inconsidérée, par laquelle le pacte social serait rompu et le despotisme substitué à la République.

Henri Hude

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