Qui aurait imaginé, au début des années 2000, que des questions aussi simples que « Qu’est-ce qu’un homme ? » ou « Qu’est-ce qu’une femme ? » deviendraient, deux décennies plus tard, sources de malaises, de tensions et de véritables conflits idéologiques ? Ce qui relevait de l’évidence pour l’immense majorité des gens est désormais perçu comme complexe, troublant et profondément conflictuel, en particulier pour les jeunes générations. Que s’est-il passé ?
Le wokisme est l’enfant du couple franco-américain…
Ce basculement trouve son origine dans l’émergence d’une nouvelle conception du genre, qui s’est progressivement imposée comme une vision dominante. Désormais, le genre est perçu comme indépendant du sexe biologique, sans ancrage dans la nature, et défini avant tout comme une construction sociale et culturelle. Ce courant de pensée s’est massivement installé dans l’espace public. Il trouve son origine dans les études de genre, développées principalement par des universitaires américains, dont la figure la plus emblématique est sans doute Judith Butler, qui publia en 1990 l’ouvrage Troubles dans le genre. Des auteurs américains certes, mais largement inspirés par les travaux des années 70 de philosophes français tels que Michel Foucault, Gilles Deleuze et Jacques Derrida. Un soft power intellectuel français dont il ne faut surtout pas sous-estimer l’importance lorsqu’on évoque les piliers idéologiques du wokisme.
Etudes ou théories, il faut choisir son camp…
Mais cette nouvelle conception du genre est loin de faire l’unanimité. Ses détracteurs voient dans les études de genre une dérive militante, dénuée de fondement scientifique, et la qualifient de théorie : en l’occurrence, la théorie du genre. À l’inverse, ses partisans insistent sur la dimension scientifique des études de genre, y voyant une source de crédibilité et de légitimité. Les uns parlent donc de théorie, les autres d’études. Une distinction sémantique d’une extrême importance faisant toute la différence, car elle agit en réalité comme un marqueur idéologique.
Si le genre n’a pas de rapport avec le sexe biologique, alors on peut se sentir homme tout en ayant un sexe féminin, ou femme tout en ayant un sexe masculin. Selon les études de genre, il n’existerait donc aucun déterminisme naturel, mais des influences extérieures qui contraindraient les individus à appartenir à tel ou tel genre. En 1949, Simone de Beauvoir écrivait dans Le Deuxième Sexe : « On ne naît pas femme : on le devient. » Nul doute qu’elle a été, elle aussi, une autre source d’inspiration française pour Judith Butler et bien d’autres. L’individu est donc invité à rompre avec les carcans imposés par la société et à choisir librement le genre auquel il s’identifie profondément.
Mais à quoi bon un individu s’identifierait-il à un genre différent de celui qui lui a été attribué à la naissance, si ce n’est pas pour le changer ? Dans sa conception moderne, désormais dominante, le genre n’a de véritable sens que s’il s’accompagne d’un acte de transformation : la transition de genre. C’est une logique cohérente car l’un ne va pas sans l’autre. Le concept précède l’action, et l’action l’incarne. Il est donc logique de s’attendre à une très forte augmentation (pour ne pas dire explosion) du nombre de transitions de genre dans les années à venir. Ce qui semble marginal aujourd’hui pourrait rapidement se banaliser, voire devenir la norme, pour plusieurs raisons.
La première tient à l’omniprésence de la nouvelle conception du genre dans notre société. Elle est désormais largement adoptée par une part significative de la classe politique, du monde culturel et médiatique, ainsi que par certains acteurs du monde de la santé. Cette adhésion, souvent affichée sans détour, confère à cette approche du genre une légitimité qui accélère sa diffusion au sein de la société. La seconde raison est liée aux politiques – circulaires, décrets, lois – déjà mises en œuvre ou à venir, visant à faciliter de manière générale la transition de genre. Enfin, la troisième raison, sans doute la plus déterminante sur le long terme, repose sur l’approche éducative auprès des plus jeunes, contribuant à normaliser, voire institutionnaliser, cette nouvelle conception du genre.
Le marketing de l’offre ou la création de nouveaux besoins…
Si la transition de genre était un produit, on pourrait dire que sa campagne marketing est redoutablement efficace, et représente même un cas d’école pour illustrer ce que l’on appelle le marketing de l’offre. Prenons l’exemple du téléphone mobile. À ses débuts, peu de personnes ressentaient le besoin d’en posséder un. Pourtant, à travers des campagnes marketing intensives, des innovations constantes et une valorisation sociale habilement orchestrée, le téléphone est devenu incontournable. Ce n’est pas la demande qui a créé l’offre, mais bien l’inverse : l’offre a généré la demande, créant ainsi un besoin qui n’existait pas initialement.
La transition de genre pourrait suivre un processus similaire, devenant non seulement banalisée mais également valorisée. Pour les jeunes générations, elle risquerait d’apparaître comme une voie d’émancipation, un marqueur de liberté et de rébellion face à un ordre établi que la jeunesse conteste souvent par essence. Par effet de mode, elle pourrait revêtir un côté « tendance » et séduisant. Mieux encore, elle pourrait s’imposer comme la solution « évidente » aux tourments existentiels propres à l’adolescence, d’autant plus si les professionnels de la Santé qui adhèrent au genre dans sa nouvelle approche, diagnostiquent à la fois rapidement et facilement, ce que l’on appelait quelques années en arrière la dysphorie de genre.
L’OMS est un précieux allié pour les théoriciens du genre…
La dysphorie de genre désigne la détresse ressentie par une personne dont l’identité de genre ne correspond pas à son sexe biologique. En d’autres termes, il s’agit d’un individu né de sexe masculin qui ne s’identifie pas comme homme, ou inversement, d’une personne née de sexe féminin qui ne se reconnaît pas dans le genre féminin. Ce mal-être provient de l’inadéquation entre le genre attribué à la naissance et celui auquel la personne s’identifie. En 2019, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a retiré la dysphorie de genre de la liste des troubles mentaux et du comportement, et l’a remplacée par l’incongruence de genre classée comme une affection de la santé sexuelle. Passé inaperçu aux yeux du grand public, cet événement a représenté une victoire majeure pour ceux qui défendent et promeuvent la nouvelle conception du genre. Il marque également une étape clé dans son processus de normalisation. Il convient donc maintenant de parler d’incongruence de genre…
En France, comme dans d’autres pays occidentaux, l’augmentation des diagnostics d’incongruence de genre est un phénomène que les professionnels de santé observent unanimement. Toutefois, les statistiques précises font défaut. Aucune base de données officielle n’existe à ce jour pour suivre cette évolution de manière rigoureuse.
Les multiples visages de la transition de genre…
Une personne présentant une incongruence de genre peut donc être amenée à entreprendre une transition pouvant prendre différentes formes : sociale, administrative ou médicale.
La transition sociale est bien souvent la première étape. Elle consiste à revendiquer un genre différent de celui attribué à la naissance. Cela se traduit par des changements concrets dans la vie quotidienne : demander à être appelé par un nouveau prénom, utiliser des pronoms correspondant à l’identité revendiquée (il, elle, iel…), et modifier son apparence. En France, la circulaire du 29 septembre 2021, signée par Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’Éducation nationale (2017-2022), établit des directives claires pour les établissements scolaires afin de mieux prendre en compte ces situations. Ce texte recommande de respecter l’identité de genre revendiquée par l’élève, sans qu’aucun certificat médical ne soit exigé. Cela implique l’usage du prénom choisi, le respect des nouveaux pronoms, et dans certains cas, l’accès aux infrastructures correspondant au genre revendiqué, comme les toilettes et les vestiaires.
Ensuite, il y a la transition administrative qui permet d’officialiser la nouvelle identité de genre par la modification du prénom et de la mention du sexe sur des documents officiels tels que la carte d’identité, le passeport ou encore le livret de famille. En France, cette procédure demeure relativement complexe et implique de passer par un tribunal, où l’individu doit démontrer la sincérité et la constance de sa démarche. En revanche, dans d’autres pays européens, des approches simplifiées reposant sur l’autodétermination de genre ont été adoptées. En 2023, l’Espagne a voté une loi permettant à toute personne dès l’âge de 16 ans de modifier la mention de sexe sur ses documents officiels par une simple déclaration administrative, sans nécessiter d’expertise médicale ni d’autorisation parentale. Avec cette loi, les jeunes de 14 à 16 ans peuvent également entreprendre cette démarche, à condition d’être accompagnés par leurs tuteurs légaux. Quant aux mineurs de 12 à 14 ans, ils doivent obtenir l’accord préalable de la justice pour initier cette procédure. En France, l’autodétermination de genre fait débat, et de nombreuses associations militent pour son instauration, à l’image de ce qui existe en Espagne.
Enfin, la transition médicale implique des interventions visant à aligner le corps d’une personne sur sa nouvelle identité de genre, en ayant recours à des traitements hormonaux, voire à de la chirurgie. En France, ce parcours est encadré par des protocoles médicaux stricts. La Haute Autorité de Santé (HAS), organisme public, joue un rôle central en élaborant des recommandations pour la prise en charge des personnes transgenres. En décembre 2024, des documents de travail confidentiels ont été divulgués, révélant que la HAS préconiserait de faciliter l’accès à la transition de genre pour les personnes dès l’âge de 16 ans, sans nécessiter d’expertise médicale préalable ni d’autorisation parentale. Ces propositions incluraient également le remboursement intégral des traitements médicaux liés à la transition. Toutefois, la HAS a précisé qu’il s’agissait de documents provisoires et que les recommandations définitives seraient publiées au premier semestre 2025. Cette initiative a toutefois suscité des interrogations et intervient dans un contexte international marqué par des retours en arrière de plusieurs pays européens. La Suède, le Royaume-Uni et la Finlande ont récemment restreint l’accès aux traitements hormonaux et chirurgicaux pour les mineurs, invoquant un principe de prudence bien tardif…
Dès la 5ème, les élèves apprendront à faire la différence entre le sexe biologique et le genre…
L’approche éducative auprès des plus jeunes passera notamment par le projet de réforme du programme d’éducation à la sexualité, actuellement en cours de discussion et non encore adopté. Encadré par l’article L.312-16 du Code de l’éducation, ce programme prévoit trois séances annuelles pour tous les élèves, de l’école primaire au lycée, avec pour objectifs affichés de favoriser l’égalité entre les sexes, de lutter contre les discriminations et de promouvoir le respect mutuel. Les cours seront dispensés par les enseignants mais aussi par des partenaires extérieurs, sous la supervision des équipes pédagogiques. Ces partenaires, associations spécialisées ou professionnels de la santé agréés, interviendront ponctuellement pour compléter l’enseignement. Même si l’Éducation nationale s’engage à veiller à l’absence de tout militantisme, l’intervention de ces partenaires extérieurs inquiète encore davantage de nombreux parents et observateurs.
La nouvelle conception du genre est bien présente dans ce programme, et celle-ci est amenée de manière progressive. Concrètement, dès le cycle 3, en CM1 et CM2 (9 à 11 ans), les élèves seront sensibilisés aux stéréotypes de genre. Ils apprendront à les repérer par exemple dans les catalogues de jouets, les publicités, le choix des couleurs dans les emballages de jeux, etc. L’objectif pédagogique vise à déconstruire progressivement les préjugés et à initier une réflexion sur les différences perçues entre les sexes, sans aborder directement la notion de genre comme construction sociale. Puis, à partir de la classe de 5ème (12 à 13 ans), l’approche change de nature et devient explicite. Les élèves seront invités à distinguer clairement le sexe biologique du genre, présenté comme une construction influencée par des facteurs sociaux et culturels.
Quand l’État s’impose dans l’éducation de nos enfants…
La nouvelle conception du genre laisse entrevoir une transformation sociétale de grande ampleur, où la banalisation, voire la normalisation de la transition de genre, semble inévitable. Mais derrière celle-ci, se dessine une tendance particulièrement inquiétante : celle d’un État omnipotent, qui ne se contente plus d’éduquer les plus jeunes mais entend aussi rééduquer les autres, en premier lieu les parents. Cette nouvelle conception du genre, désormais détachée du sexe biologique, est présentée comme une vérité scientifique, imposée avec la même rigueur qu’une règle mathématique. Dès lors, toute contestation ou réserve n’est pas seulement disqualifiée : elle est perçue comme une entrave au progrès social. Le débat s’éteint, la nuance disparaît. L’État sait. Il impose. Point final.
Un État qui s’immisce toujours davantage dans la sphère privée laisse inévitablement planer le spectre d’un totalitarisme grimpant. Jusqu’où ira cette volonté d’encadrer l’éducation des enfants ? Après l’éducation à la sexualité, quelle sera la prochaine étape ? Apprendront-ils bientôt à « bien » voter ? L’État se chargera-t-il de leur désigner les partis respectables, ou les causes qu’il convient de défendre ? En définitive, où se situe la frontière entre éducation et propagande, surtout lorsque l’on s’adresse à des adolescents, voire à des enfants ?
Avec un État toujours plus intrusif, les parents ne risquent-ils pas d’être progressivement dépossédés de leur autorité ? Cette crainte est loin d’être infondée, comme en témoignent plusieurs cas concrets.
En Suisse, des parents ayant refusé la transition de genre de leur fille de 16 ans ont été menacés de poursuites pénales. La jeune fille a été placée en foyer, les autorités estimant que l’opposition des parents représentait une entrave au bien-être de l’adolescente.
En Écosse, des propositions de loi pourraient criminaliser des parents opposés à la transition de genre de leur enfant. Refuser de s’aligner sur la volonté de l’enfant pourrait conduire à des sanctions allant jusqu’à sept ans de prison.
Au Canada, un père a été condamné à six mois de prison pour avoir publiquement refusé la transition de sa fille de 13 ans, qui avait reçu l’aval des professionnels de la santé pour entamer un traitement hormonal.
En France, le document de travail confidentiel de la HAS, mentionné précédemment et non définitif à ce stade, stipule que le refus parental pourrait être contourné par des mécanismes de médiation. En dernier recours, cela pourrait aller jusqu’à une délégation partielle d’autorité parentale, voire une déchéance complète.
Sommes-nous en train d’assister à la naissance d’une génération façonnée davantage par les institutions que par la cellule familiale ? Si la question se pose, le débat, lui, semble s’éloigner chaque jour un peu plus.
Philippe Pulice
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