La chronique anachronique de Hubert de Champris – Paul Valéry, amoureux de son cerveau

Olivier Houdé, Paul Valéry, amoureux de son cerveau, Odile Jacob, 141 p., 18,90 €.

À la nuit tombante, les annuelles Journées Paul Valéry closes, ils s’étaient évaporés ; et voici qu’à la faveur de l’emprunt d’un raccourci nous faisant débouler vers la mer au travers du cimetière marin de Sète, nous les retrouvions, devisant sans doute plus laïquement que religieusement, sur le banc sis devant la tombe de celle que Catherine Pozzi qualifiait en substance (blanche évidemment, neuro-cognition oblige) de fieffé égotiste. Notre dévot duo, composé de Régis Debray et du biographe en chef du fameux écrivain, Michel Jarrety, humait les mânes de cette perpétuelle tête de litote, de cette sorte de Musset qui tremperait sa plume dans l’encrier de Hegel, qui, pour le moins, aurait décidé que l’impressionnisme devait désormais être une science exacte.

De cette école de peinture psychologique, de cette « esthétique qui se confond avec l’esthésique » selon ses propres termes, Paul Valéry était le sujet majeur. En la personne d’Olivier Houdé, psychologue et directeur du Laboratoire de psychologie du développement et de l’éducation de l’enfant de La Sorbonne, les neurosciences, aidées de leurs imageries si ce n’est, ajouteraient les mauvaises langues, de leur imaginaire, s’essaient à en vérifier les très narcissiques diagnostics. À cette fin, notre fin savant utilise le prisme de sa découverte – que la visualisation de nos neurones à l’œuvre confirme nous précise-t-il – du processus psychique de la connaissance, soit les trois systèmes cognitifs ci-après : 1/ le système heuristique (celle-ci étant au processus de la découverte en général ce que serait le mélange de l’épistémologie (appliquée à la découverte strictement scientifique) et de l’herméneutique (appliquée à la découverte du sens du texte écrit), pensée « automatique » et intuitive aux deux tiers rapide et au tiers seulement «fiable », 2/ le système algorithmique, pensée réfléchie « logico-mathématique » aux proportions inverses et enfin 3/ un système d’inhibition, à la fonction d’arbitrage, qui peut s’intercaler entre les deux premiers, interrompant donc le système heuristique pour activer celui des algorithmes.

Fort de sa découverte qu’il estime être quasi un viatique vers une toujours plus exacte appréhension du processus de la compréhension, Olivier applique ce schéma à différentes étapes de la vie tant intellectuelle que sentimentale, – si tant est que, chez ce type de personne, ce distinguo, aux yeux d’une neuroimagerie bien pensée, bien conceptualisée puisse encore avoir sens et pertinence…Il nous semble en effet que notre auteur confond chez Valéry les diverses phases du processus de création, à savoir a/ création/idéation, soit découverte au sens propre du mot, mise à jour d’une réalité préexistante (thèse réaliste platonicienne, que la mystique conforte et confirme) , b/ expression/rédaction de la matière de celle-ci, c/ publication orale, le plus souvent écrite. Ces phases ne s’identifient pas les unes aux autres. Pareilles césures pourraient être retrouvées dans le cours de la biographie dite sentimentale, laquelle, spécialement dans le type d’appartenance/apparentement de Valéry, est possiblement corrélée à la première (précision étant ici apportée qu’en matière de science dite dure, la corrélation est non moins probablement le joker d’une causalité inconnue).

Ajoutons qu’alors que l’imagerie neuronale en l’état ne nous semble pas avoir révélé cette difficulté, la clinique montre qu’au sein même de l’acte de connaissance (par exemple, l’acte de monition), système heuristique et système algorithmique (le banal raisonnement logique) peuvent se conjuguer, s’amalgamer sous réserves, précisément, que l’imagerie ne visualise un bref décalage dans le déroulement des deux phases. Par ailleurs, Olivier Houdé gagnerait à préciser le sens qu’il attribue à certains termes (sensibilité, intuition, intuition intellectuelle etc.), leurs définitions non univoques rendant peut-être peu pertinentes nos modestes réserves ou objections. Enfin, suggérons à notre savant de se rapprocher des travaux de ses confrères lyonnais Olivier Revol et Fanny Nusbaum, du Centre PSYchologie, Recherche et Neurosciences : ils lui permettront de typer Valéry, lequel, pami le type « philo-cognitif » se rattache manifestement au sous-type complexe. Le dossier ainsi complété, il nous restera, parodiant Balzac, à rédiger un Paul Valéry, splendeurs et misères de l’intelligence…

Non, ce n’est pas terminé comme dirait Pascal Praud : comment Olivier Houdé qualifie-t-il l’erreur de fait qu’il commet page 94 ? Si nombre de personnes ont relu son texte, combien ont-ils révisé le libellé de ses légendes iconographiques ? Un moins grand nombre… et puis… et puis, n’est-ce pas, toujours cette fichu ‘‘pensée heuristique’’ source de tous nos maux, ‘‘maîtresse d’erreurs et de fausseté’’ comme dirait Pascal…Eh bien non, la tombe de Brassens ne se situe pas dans le cimetière marin … mais dans l’autre… Et, pour en revenir à notre début : les bancs publics sont parfois aussi le siège des mélancoliques pensées des philosophes.

Hubert de Champris

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