Philippe Pulice :  Pourquoi l’idéologie qui se cache derrière le wokisme est-elle dangereuse ?

Les causes mises en avant par le wokisme sont difficilement contestables, car elles sont pour la plupart légitimes et porteuses de sens : justice sociale, équité, lutte contre le racisme, combat contre les discriminations et les injustices. Lorsqu’il est présenté uniquement à travers ces causes, ce mouvement apparaît quasiment inattaquable, et c’est l’une de ses forces. Soyons clairs : le critiquer, c’est donner l’impression de s’opposer aux avancées des droits humains. Néanmoins, derrière cette façade se cache une idéologie encore largement méconnue, qui présente des dangers et des menaces à bien des égards.

Premièrement, cette idéologie est porteuse de tension, de haine et de violence.

Son postulat ne peut que diviser. Il ramène tout à une vision binaire : d’un côté, les dominants ; de l’autre, les dominés. Le wokisme affirme que la société occidentale a été construite pour qu’un groupe d’individus impose sa domination sur les autres. Au départ, les dominants étaient représentés par l’homme blanc occidental et hétérosexuel (forcément, puisqu’il s’agit des sociétés occidentales). Le wokisme étant en constante mutation, la cible a évolué. Aujourd’hui, il est plus juste de parler de l’individu cisgenre blanc occidental. Un individu cisgenre est celui dont l’identité de genre correspond au sexe assigné à la naissance. Une évolution qui génère des tensions au sein même de la communauté LGBT entre les personnes transgenres, gays et lesbiennes. Dans cette vision à la fois binaire et clivante, les dominés sont représentés par les femmes, les minorités ethniques et les minorités sexuelles. Pour les militants wokes, les sociétés occidentales sont structurellement racistes, homophobes, transphobes, sexistes, machistes, etc., c’est-à-dire qu’elles sont construites intentionnellement dans ce sens.

L’idéologie woke ne craint pas les paradoxes, c’est le moins que l’on puisse dire. Tout en dénonçant les stéréotypes, elle en crée de nouveaux. Elle essentialise les individus en les enfermant dans leur appartenance identitaire, où tout semble inéluctable. Elle pousse certains dans une posture victimaire qui les dévalorise et les déresponsabilise, tandis qu’elle plonge d’autres dans la haine de soi, la culpabilité, voire la repentance.

Le concept de race a ressurgi, alors qu’il avait été précédemment exclu car à la base du racisme, impliquant la classification et la hiérarchisation des groupes humains. Les militants wokes revendiquent le racialisme, définissant une personne racisée comme celle qui subit des discriminations et des injustices en raison de son appartenance à une race. C’est une manière de distinguer clairement les racistes de ceux qui souffrent du racisme. Avec l’idéologie woke, les racistes ne peuvent qu’être blancs.

Le néo-féminisme a donné naissance à une guerre des sexes rendant de plus en plus difficile les relations entre les hommes et les femmes. La fronde contre le mâle blanc est d’une violence inouïe et on peut y voir une sorte de misandrie qui ne dit pas son nom. Les militants néo-féministes les plus radicales, par leur rhétorique caricaturale et vindicative, nuisent finalement à la cause féministe. Le mâle blanc est forcément sexiste, machiste et violent, exerçant sans réserve une prédation, en particulier sur les femmes et la nature.

L’idéologie woke entraîne un phénomène d’inversion des valeurs, conséquence de la culture de l’excuse, le pendant de la posture victimaire. Se généralise l’idée, déjà ancienne, que le délinquant, surtout s’il est issu des minorités ethniques, n’est finalement que le produit d’une société qui n’a pas assumé son rôle. Dit autrement, le délinquant est une victime. C’est le premier stade. Cependant, le wokisme invite à aller beaucoup plus loin en considérant que la condamnation d’un délinquant constitue en soi une injustice, puisque cette personne est victime de la société, et qu’une condamnation reviendrait à une double peine immorale. De quoi déresponsabiliser les individus et rendre le système pénal peut dissuasif. On ne peut que penser à la célèbre citation d’Adam Smith, « La miséricorde pour le coupable est cruauté pour l’innocent ». Quelques exemples. En France, Caroline de Haas, militante néo-féministe (formatrice externe auprès du Conseil d’Etat), estime qu’il faudrait supprimer les prisons, toutes et partout. Jean-Luc Mélanchon, le leader du parti LFI, souhaite entre autres, supprimer le référentiel carcéral pour bon nombre de délits. Aux Etats-Unis, de plus en plus de « voix wokes » s’élèvent pour assimiler les prisons à l’esclavage moderne. Des procureurs annoncent qu’ils ne poursuivront plus les petits délits car il s’agit de délits causés par la pauvreté. Le laxisme de la justice, souvent dénoncé, n’est peut-être pas le symptôme de dysfonctionnements marginaux, mais le reflet d’une tendance lourde qui émerge.

Et puis, il y a cette fronde contre la police qui rend perplexe. Que penser de l’acronyme ACAB (All Cops Are Bastards), qui se traduit par « Tous les flics sont des bâtards » ? On le voit entre autres, dans la plupart des universités. Que dire de l’affirmation de Jean-Luc Mélenchon : « La police tue » ? Aux États-Unis, Marianne Kaba, militante et écrivaine, a publié une tribune dans le New York Times, intitulée : « Oui, nous voulons littéralement abolir la police. » Tout est dit.

Avec l’idéologie woke, les individus se retrouvent enfermés dans des cases qui s’opposent les unes aux autres, rendant toute échappatoire impossible. Les accusations sont virulentes et ne tolèrent aucune mesure. Comment éviter le ressentiment et l’esprit de revanche quand vous apprenez que la société dans laquelle vous êtes né, ou dans laquelle vous avez immigré, est volontairement raciste, xénophobe et a institutionnalisé les discriminations pour mieux vous dominer et vous exploiter ? Et quand vous êtes une jeune femme, comment ne pas se méfier, craindre, mépriser, voire détester les hommes, quand on vous apprend qu’ils sont intrinsèquement mauvais et que, finalement, le viol n’est que la continuité de gestes semblant anodins, comme un regard insistant ou une main posée sur votre bras ? Comment également ne pas ressentir des sentiments vindicatifs quand vous êtes homosexuel et que vous apprenez que la norme hétérosexuelle n’est qu’une invention destinée, là encore, à mieux asseoir la domination des uns sur les autres ?

Dans le registre des paradoxes, l’idéologie woke ne cherche pas à mettre fin aux discriminations, mais à en instaurer de nouvelles, simplement inversées. Au nom de l’équité, le principe d’égalité des chances et du mérite pour tous est remplacé par la discrimination positive, terriblement injuste pour ceux qui n’en bénéficient pas. Il ne s’agit plus d’être compétent, bon, voire excellent, mais de répondre à des critères d’appartenance identitaire. Rien de tel pour casser la motivation et l’envie de se surpasser. Mais aussi, de quoi alimenter, là encore, ressentiment et jalousie. L’idéologie woke ne supporte pas les différences, même les plus naturelles ou méritées, car elle les perçoit systématiquement comme des sources de discriminations et d’injustices.

Cette opposition systématique entre les individus, engendrée par l’idéologie woke, risque de conduire à une déshumanisation rapide où l’empathie, l’entraide et la bienveillance pourraient passer par pertes et profits, car tout est perçu comme suspicieux. Prenons quelques exemples : la galanterie serait considérée comme une forme de sexisme ordinaire (dixit la Mairie de Paris) ; l’idée que les hommes doivent protéger les femmes est présentée comme une forme de misogynie (dixit le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes) ; aider une personne mal voyante à traverser la rue serait une offense, car cela renverrait brutalement à la personne concernée, son handicap ; donner un conseil amical ou apporter une aide quelconque à une personne racisée quand on est blanc serait également perçu comme une offense, car cela ferait ressurgir un rapport de domination.

L’idéologie woke ne rassemble pas ; au contraire, elle divise et oppose les individus. Les accusations sont pléthoriques et alimentent la posture victimaire. Elle engendre une violence qui va se généraliser et monter graduellement en intensité dès lors qu’elle apparaîtra comme légitime aux yeux de ceux qui sont capables de l’exercer. En ce qui concerne la légitimité de cette violence, les élites – concrètement les personnes qui détiennent le pouvoir, notamment au niveau de la politique, de la justice et des médias – qui soutiennent le mouvement woke pour diverses raisons, portent une part de responsabilité énorme. Entretenir une culture du ressentiment, de l’excuse et de l’impunité, alimenter le sentiment d’un deux poids, deux mesures – soit la perception d’une injustice institutionnalisée – et continuer à détruire nos valeurs représentent une menace terrible pour nos sociétés. Celles-ci risquent de glisser dans une violence généralisée, potentiellement extrême, entraînant les individus vers le repli sur soi et l’hyper-individualisme. Et cette menace est probablement la pire !

Deuxièmement, cette idéologie a des allures totalitaires et conduit à un affaiblissement généralisé ainsi qu’à une régression intellectuelle et culturelle.

L’idéologie woke veut imposer son modèle de force, et formatter les esprits. Elle veut faire table rase de tout ce qui représente et perpétue le modèle de la société occidentale. Rien ne semble échapper à cette entreprise de grand effacement : l’histoire, les traditions, les normes, les valeurs, la religion et en l’occurrence le Christianisme, la culture au sens large du terme et même les sciences.

De quoi déstabiliser les individus, notamment les plus jeunes, car il semble difficile de se construire et de s’assumer quand tout est remis en question, quand on ne croit plus en rien, quand on ne peut s’appuyer sur un « socle » de connaissances apportant un minimum de stabilité et de repères. Même les choses qui paraissaient évidentes ne le sont plus. Par exemple : un homme peut être enceint ; avoir un pénis ne signifie pas forcément être un garçon ; un enfant peut naître d’un couple de femmes ou d’hommes ; le modèle du couple est dépassé, voire ringard, tout comme celui du patriarcat qui, au passage, asservit les femmes et empêche leur épanouissement ; la norme hétérosexuelle n’existe pas, comme d’ailleurs les autres normes. Par contre, l’idéologie woke fait croire que la fluidité du genre et des orientations sexuelles, est forcément une source d’épanouissement. Elle supprime les anciennes croyances pour les remplacer par d’autres ! N’est-ce pas perturbant d’apprendre que vous êtes prisonnier de votre couleur de peau, condamné dès le départ à être soit une victime, soit un raciste ? Ou encore d’être qualifié de prédateur sexuel et sommé de vous débarrasser de votre « masculinité toxique » ? Sachant que, quoi que vous fassiez, la société vous assignera toujours à la case prédéfinie à votre naissance.

Les sciences sont remises en question car elles perpétuent, elles-aussi, les discriminations. Les mathématiques sont accusées d’être racistes, tout comme la physique et d’une manière générale, les sciences sont jugées trop « blanches ». Elles portent la trace de la domination de l’occident. De nombreuses universités aux Etats-Unis mais aussi au Royaume-Uni promeuvent un enseignement « inclusif » parfaitement adapté au niveau hétérogène des élèves. Corriger devient discriminatoire et offensant, tout comme le système de notation, entraînant un nivellement par le bas qui ne dit pas son nom. La norme de la minceur est contestée car elle opprime certains individus. La société est qualifiée de « grossophobe » par les militants wokes. Cette contestation va loin et expose les personnes souffrant d’obésité à de réels dangers, car la corrélation entre l’obésité et certaines maladies, telles que le cancer, le diabète et les problèmes cardiovasculaires, est rejetée. Exemples parmi d’autres.

Avec la cancel culture (culture du bannissement ou de l’effacement), les statues et monuments déboulonnés se multiplient, tout comme les œuvres censurées, partiellement ou totalement. L’enseignement devient un exercice à la fois difficile et risqué. Tout ne peut être dit ni même abordé, car chaque sujet est devenu clivant. La liberté d’expression fait l’objet d’attaques, car l’idéologie woke ne tolère pas la parole dissidente. Les campagnes de dénigrement et de harcèlement visant les opposants sont légion. Le débat d’idées est rendu impossible. Or le débat d’idée est le fondement de la démocratie. La censure et l’auto-censure se multiplient, car nombreux sont ceux qui cèdent à la pression et aux intimidations. Avec cette idéologie, les individus se fragilisent et acceptent de moins en moins la contrariété. La recherche d’un monde aseptisé, un monde de bisounours, peut conduire à ce que la censure soit plébiscitée, comme l’a révélé une étude menée en Grande-Bretagne en 2022 auprès d’environ 1 000 étudiants de niveau Bac+3 : 39% des étudiants interrogés souhaitaient restreindre la liberté d’expression et réclamaient plus de censure…

On parle souvent de ce qui est détruit ou censuré, mais rarement, voire jamais, de ce qui n’est pas produit en raison de son incompatibilité avec l’idéologie woke. Des œuvres culturelles de grande qualité sont probablement mises de côté, ce qui constitue un préjudice terrible pour notre patrimoine. L’un des exemples les plus éloquents est celui de Dana Walden, qui était présidente de Disney en 2021, et qui déclarait à ce moment-là : « Nous recevons parfois des scénarios magnifiquement écrits, mais qui ne remplissent pas nos conditions d’inclusivité, et nous les refusons. » On peut facilement imaginer qu’il en va de même un peu partout, pour les pièces de théâtre, les ballets, les sculptures, les tableaux, les livres, etc.

L’idéologie woke, à l’instar des idéologies totalitaires du 20ème siècle, ambitionne de créer un Homme nouveau en lui imposant un modèle, peu importe que celui-ci lui convienne ou non. Pour y parvenir, les peuples devront être éduqués, formatés, afin d’accepter le monde non pas tel qu’ils le perçoivent, mais tel que les intellectuels wokes veulent qu’il soit. Les gens seront contraints de penser, de dire et de faire des choses qu’ils ne désirent pas, dans un système coercitif qui s’attaque au libre arbitre des individus. Cela passera nécessairement par une restriction des libertés et particulièrement la liberté d’expression. Plus les peuples sont déculturés, et plus ils sont perméables au nouveau modèle qu’on leur impose. L’effacement progressif de notre culture, au sens large du terme, qui s’opère sous nos yeux, s’inscrit précisément dans cette dynamique. Les peuples déconnectés de leurs racines sont plus vulnérables. Encore une fois, il faut se plonger dans l’histoire pour comprendre ce phénomène. C’est exactement ce qu’a fait, entre autres, le régime soviétique dans sa quête impérialiste pour prendre le contrôle de nouvelles régions.

La fragmentation de notre société en une multitude de groupes identitaires s’oppose directement à l’intérêt général et à l’unité nationale. Un communautarisme décuplé, où chaque groupe, même le plus minoritaire, porte ses propres revendications, souvent en totale contradiction avec celles des autres. La concorde nationale devient de plus en plus utopique, affaiblissant dangereusement les peuples et les nations.

Philippe Pulice

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